samedi 16 janvier 2010

Kinatay de Brillante Mendoza (Philippines/2009/105’’/Couleur/35mm/1 :85/Son Dolby SRD/vostfr).



Ce soir à 18h30, je vais voir Kinatay de Brillante Mendoza, qui jouait pour la dernière séance au cinéma l’Ecran. Serbis m’avait intrigué, même s’il ne m’avait pas beaucoup plu. Ces longs plans séquences déambulant dans un cinéma porno délabré sont magnifiques, mais le film m’avait ennuyé et laissé un petit goût de frustration et de manque. Donc je reviens à la charge, en me disant qu’un polar de cet auteur changera ma vision de son cinéma. Et puis je ne connais absolument pas le cinéma philippin. Je vais donc le voir en salle 2 de l’Ecran, devant un public très clairsemé (5 spectateurs seulement). On me prévient à l’accueil que c’est un film dur, sombre et assez violent, et moi je me dis « Bah oui, c’est un polar.. », mais je ne m’attendais pas à ça (j’aurai dû de la part de Mendoza).
Le film s’ouvre sur des images de rue du quotidien (marché, échoppes, travailleurs) prises caméra à l’épaule, c’est coloré, c’est vivant, bordélique, on entre tout de suite dans un univers de polar urbain d’une contrée lointaine et exotique.
L’action est concentrée en une journée et une nuit, jusqu’au lendemain matin.

Résumé:
Peping (Coco Martin), un jeune étudiant en criminologie, est recruté par son ancien camarade de classe, Abyong, pour travailler en tant qu’homme à tout faire au service d’un gang local de Manille. Cette activité lui permet de gagner de l’argent facilement pour faire vivre son enfant et sa jeune fiancée, qu’il a décidé d’épouser. Mais pour cela, il lui faut encore plus d’argent. Abyong propose alors au jeune homme de s’engager dans une « mission spéciale », particulièrement bien rémunérée…



Le film est clairement séparé en deux parties, avec deux manières de tourner différentes (35mm pour la journée et HD pour la partie de nuit). La première partie nous fait découvrir une famille dans les rues de Manille, dont les membres éparses vont converger vers un évènement heureux et important, le mariage d’un jeune couple Peping et sa femme enceinte. C’est le bazar, la grand-mère arrive au dernier moment, il règne un bordel ambiant dans ces rues. On assiste à un mariage groupé (je ne sais comment de couples se marient en même temps devant un prêtre qui psalmodie dans un micro), à une tentative de suicide d’en haut d’une affiche publicitaire suivie de près par une armée de journalistes avides de sensation fortes et les supplications de la mère, sorte de théâtre improvisé et à ciel ouvert. Le maire qui marie nos héros a plein d’humour, mais officie en dilettante sans trop y mettre de forme (on sent le système administratif un peu bancal et bricolé). Dans la salle de classe où Peping étudie la criminologie (le prof explique la procédure à suivre lorsqu’on arrive sur un lieu de crime) en somnolant, personne n’écoute, les étudiants parlent entre eux et se marrent lorsque le prof fait une remarque à l’un d’eux (en l’occurrence balance une craie sur Peping pour le réveiller), on est loin de l’ambiance studieuse et scolaire de ce genre d’endroit.
En gros, la première partie du film est dans la même veine que Serbis, même univers bordélique, chaotique, grouillant, capté caméra à l’épaule, sans cesse dynamique, mouvante, pour suivre cette vie atypique et tous les éléments qui la compose.
Mais il y a aussi des traces, des petits gestes qui vont annoncer la suite. On sent dans cette première partie le manque d’argent. Il faut payer le mariage, et visiblement les études en criminologie, ça rapporte pas des masses. Le parrain de Peping a l’air à l’aise financièrement, et lorsqu’ils s’en vont du restaurant dans lequel ils fêtaient l’heureux évènement, Peping prend discrètement sur la table l’argent de l’addition du repas posé par son parrain, geste presque anodin, mais qui sera lourd de sens par la suite.
Car Peping a besoin d’argent, et voici la seconde partie du film. Pour arrondir ses fins de mois, notre héros futur policier se livre à des petits trafics juteux et clandestins. La scène qui ouvre cette deuxième partie est intelligente et très claire : on suit un type qui fait le tour de vendeurs ambulants qui lui filent chacun une poignée de billets, pour payer le droit de faire de la revente à la sauvette. Le racket a toujours été la première source de revenus du gangster, quelle que soit son origine, et ici on n’échappe pas à la règle. Le type fait donc sa collecte habituelle, en mettant un coup de pression et des claques aux mauvais payeurs, puis, une fois qu’il a finit, vient donner sa recette à Peping qui la refile à un autre truand. Ok, donc Peping fricote avec les truands locaux pour élever un peu son niveau de vie. Une corruption vitale et nécessaire : salaire trop bas, donc combines obligées. Logique.



Puis son pote Abyong lui dit que ce soir, le patron va avoir besoin de lui pour un plus gros coup. Pour Peping, c’est un peu comme un baptême de feu, et il ne se doute à aucun moment de ce qui l’attend (nous non plus d’ailleurs, et comment s’y attendre vu l’absurdité de leur job..).
La bande va chercher Madonna, une prostituée junkie qui connait visiblement nos mauvais garçons, mais qui va s’en prendre plein la tronche (on comprend rapidement qu’elle doit de l’argent, beaucoup, et visiblement, une des méthodes efficaces pour le récupérer c’est de cogner à mort le mauvais payeur), tout d’un coup, sans préavis. Elle-même semble surprise du traitement qu’elle subit en suppliant le boss de ne pas lui faire de mal. Déjà, on sent le malaise absurde pointer, et surtout le doute de Peping qui se demande ce qu’il est venu foutre dans cette histoire moche.
Et c’est parti pour au moins une heure de virée nocturne, dans une camionnette pleine de truands à la mine patibulaire et aux méthodes expéditives, dans une descente aux enfers qui fait progressivement monter l’attente puis l’angoisse de Peping (et la nôtre).
La séquence du trajet en voiture est extrêmement longue (au moins 30 minutes de torture mentale), ponctuée de fausses peurs (« on nous poursuit »), d’animaux écrasés, d’un barrage de police, d’un toxicomane qui les alpague à un feu rouge, d’une pause-pipi rapide sur le bord de la route. C’est long, c’est lent, on ne comprend pas qui ils sont et pourquoi font-ils cela. On pourrait croire que c’est des flics véreux et marrons, ou des truands, quelle importance, et d’ailleurs ça ne sera pas résolu. Ils enlèvent et tabassent la fille dans la voiture, sous les yeux impuissants et affolés de Peping, la tuent par inadvertance (mais en fait elle n’est pas morte, encore pire, comme on le découvrira plus tard). Et puis surtout, on ne voit rien. Beaucoup de flous, de gros plans sur des visages plongés dans le noir, juste éclairés par intermittence par les lumières de la rue, les phares, il fait tout simplement trop sombre, et pendant une bonne partie de cette séquence, on ne verra que du noir ou des visages en silhouette ou sous-exposés. On est dans cette voiture sombre de nuit, et il ne se passe rien, sauf le doute et l’angoisse de Peping, et les conversations anodines des gangsters, alors que l’horreur est en train de pointer son museau désagréable. J’avoue m’être pas mal ennuyé pendant cette partie, malgré mon incompréhension et mes doutes qui me faisaient attendre patiemment la suite, dans l’espoir d’une résolution, d’une explication, même la plus horrible soit-elle. Comme Peping, je suis largué et je subis cette attente un peu angoissante, mais surtout ennuyante.
Mais le pire est à venir. Ils arrivent enfin devant les grilles d’une vieille résidence, dans laquelle ils vont terminer leur joyeuse besogne.
La fille n’est pas morte, mais se fait réveiller à l’aide d’un seau d’eau désagréable, et sa punition pour sa dette n’est pas finie. On explique calmement la situation à Peping, et on envoie les jeunes acheter de la bière pour faire passer le temps, pendant que les truands entreprennent de violer la fille.
Peping est horrifié, et semble vouloir réagir, ou tout du moins s’enfuir pour échapper et oublier tout ça. Il veut se barrer d’ici, mais hésite, a peur et finalement ne peut rien faire. Il reste là, voyeur lâche, terrifié et impuissant, sans réaction physique (par contre ses yeux en disent longs sur l’horreur et la folie dont il est témoin). Il suit les ordres, regarde le viol, puis la boucherie sans bouger (même lorsqu’on lui crie de ramener des sacs poubelles). Car les truands ont la judicieuse idée de découper la fille en morceaux qu’ils iront éparpiller aux quatre coins de la ville. Je ne comprends pas l’utilité d’un tel acte, ni même s’ils ont récupéré leur argent, mais ça a l’air de leur faire bien plaisir, ou tout simplement d’être un boulot comme un autre. En tout cas, je ne comprends pas absolument l’idée de découper quelqu’un qui doit de l’argent, je ne vois pas comment sa mort pourrait rembourser quoi que ce soit. Est-ce une habitude à Manille (ça a visiblement l’air de venir d’un fait-divers récent, des morceaux de cadavres humains retrouvés dans des poubelles, « une autre tête coupée » nous apprend t’on à la fin..) ?



Toute la violence est seulement montrée à travers le regard du héros horrifié et impuissant, relégué au simple rang de spectateur/voyeur, ce qui accentue notre frustration.
Tout ça pour dire que c’est super horrible, mais traité comme un fait divers anodin, qui semble être la routine pour les truands (qui discutent tranquillement ou boivent des bières pendant ce temps). Le problème, c’est que ce traitement brut, sa « mise en scène en temps réel » n’a pas réussi à me transporter au cœur de l’action (quasi-inexistante) ni des émotions du héros apathique et passif. On se contente juste de subir l’horreur, et surtout l’incompréhension tout au long de cette séquence trop chiante, dans laquelle on ne voit rien (et visiblement, ça fait peur et monter l’angoisse). Filmer du noir, des visages sous-exposés ou un long trajet sur la route, me semble plus ennuyeux qu’angoissant. Le doute et l’angoisse sont vite remplacés par l’ennui et l’attente de quelquechose qui ne viendra jamais. Et on s’attend quand même à voir réagir Peping face à tant d’horreur (la scène où il seul face à la fille attaché sur le lit, ou celle où il est témoin d’un viol humiliant), mais en fait non. La seule réaction humaine qu’il aura, c’est quand il vomit arrivé au restaurant le lendemain matin, après sa nuit d’horreur. Enfin, quelquechose de normal, mais très vite, il nettoie son alliance de mariage, et revient devant son assiette (« C’est froid » lui dit-on, « C’est pas grave, j’ai pas faim », tu m’étonne qu’il a pas faim. Comment manger après ça ?). Puis il demande à partir, et revient enfin à sa vie normale, comme si de rien n’était, ou plutôt pour faire comme si de rien n’était, pour oublier l’horreur insensée de la nuit dans le bordel de la journée (le dernier plan du film nous montre la femme et le bébé de Peping comme pour rappeler à notre souvenir la famille, si importante après cette nuit absurde). Notons une chose marrante cependant : il a gardé le polo de son école de police pendant toute la virée nocturne rendant sa place encore plus décalée et inutile.
Et puis cette phrase sentencieuse de Mendoza quand on file la tête de la fille emballée dans un sac à Peping : « Une fois l’intégrité perdue, elle est perdue à jamais ». Mais de quelle intégrité peut-on parler quand on a été témoin de ça sans réagir ? Est-ce un niveau de vie trop bas, une famille à nourrir, qui font qu’il n’a pas réagit, et le transforment en témoin complice d’un acte insoutenable ?
Je ne comprends pas de quoi veut nous parler Mendoza, à part d’une société tellement corrompue, que les individus lambdas y acceptent de faire l’inacceptable. Je ne comprends pas non plus la violence absurde et froide des gangsters, ni les raisons de leur crime (quel intérêt de faire ça à une personne endettée ?). Je n’ai pas réussi à plonger dans cette descente aux enfers, ni à m’identifier ou m’attacher à cet anti-héros, dont la seule utilité narrative est de servir de témoin à la fois impuissant et complice par sa passivité, à cette boucherie (Kinatay en philippin semble vouloir dire massacre). Je n’ai pas réussi à adhérer à l’histoire que voulait nous raconter Mendoza, et encore moins à sa manière de la raconter (pourquoi autant d’attente soi-disant angoissante dans cette voiture sombre et dans laquelle on ne voit rien ?).
Presque deux heures d’angoisse et de doute qui se transforment bien vite en ennui, et comme Peping, j’ai hésité à m’en aller, mais comme lui, je voulais voir jusqu’à la fin où voulait en venir le cinéaste. Et j’avoue, que comme Serbis qui m’a laissé sceptique, Kinatay me laisse le goût amer du spectateur qui a presque l’impression d’avoir perdu son temps. Mais on n’a pas le droit de dire que regarder un film fait perdre du temps, même lorsqu’on n’a pas aimé, et on en apprend toujours, même avec les mauvais films (ou en tout cas ceux qui ne nous plaisent pas).
Avec Kinatay, j’ai appris que j’avais un peu de mal avec Brillante Mendoza et que ces films et ce qu’il veut y dire me sont restés hermétiques.
Par contre, on sent effectivement qu’il y a un malaise dans cette société, malaise particulièrement bien traduit dans ces deux films.
Mais bon, je n’ai pas réussi à trouver ces films intéressants, et je vais quand même essayer de voir d’autres films de ce réalisateur (John John, ou encore Tirador de 2007) pour en savoir plus et ne pas rester sur ce sentiment.
Kinatay est vraiment un film bizarre qui met certes mal à l’aise, mais dont l’engouement provoqué me laisse perplexe. Mais après tout, qui suis-je pour me demander si son Prix de la mise en scène à Cannes est mérité?
J’attends vos retours et vos commentaires si vous l’avez vu, afin de confronter les points de vue.




http://www.kinatay-lefilm.com/
http://www.imdb.com/title/tt1423592/
http://www.cinezik.org/critiques/affcritiquefilm.php?titre=kinatay
http://www.indiewire.com/film/kinatay/
http://www.evene.fr/cinema/films/kinatay-25624.php
http://www.mad-movies.com/forums/index.php?showtopic=27362
http://www.telerama.fr/cinema/films/kinatay,391329,critique.php
http://www.excessif.com/cinema/critique-kinatay-4708900-760.html
http://www.paperblog.fr/2546645/kinatay-de-brillante-mendoza-sombre/
http://irreductibles.blogspot.com/2009/11/kinatay-de-brillante-mendoza.html
http://100pour100cinema.over-blog.com/article-kinatay-realise-par-brillante-mendoza-40475998.html
http://cinema.fluctuat.net/films/kinatay/8069-chronique-Quand-Manille-dort.html
http://cinema.fluctuat.net/blog/38049-quentin-tarantino-a-adore-kinatay-de-brillante-mendoza.html
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/kinatay-de-brillante-mendoza_759051.html
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/film-en-salle/kinatay-brillante-mendoza-frappe-encore-juste_828993.html
http://www.telerama.fr/cinema/seance-tenante-5-vengeance-de-johnnie-to-et-kinatay-de-brillante-mendoza,42828.php
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/11/17/kinatay-depecage-d-une-effeuilleuse-a-manille_1268293_3476.html
http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2009/05/18/kinatay-brillante-mendoza-plonge-avec-brio-dans-un-cauchemar-sanguinolent_1194442_766360.html

Eddie, le 16 janvier 2010.

1 commentaire:

  1. salut
    je le cherche en upload
    auriez vous un lien svp ?
    merci chaleureusement d'avance

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