mardi 22 septembre 2009

Compte rendu 12e séance Chez Jacki (26/08/2009).


Ce vendredi soir, en présence de 8 personnes (Jacki, Lucie, Manu, Mimi, Axel, Agathe, Julien, Eddie), notre second rendez-vous de la saison 2 des Projections Chez Jacki (les PCJ pour les intimes), avec un programme éclectique qui montre que ces projections se diversifient au fil des propositions et des apports de chacun.
On se remet une petite fois l’ours de Fumer Tue, pour ceux qui ne l’avaient pas encore vu (une ou deux fois d’ailleurs..), on en parle 5 minutes en se disant qu’il n’est pas encore terminé et qu’il y a encore des détails à retoucher, et après cette courte introduction, Jacki nous présente le premier film de la soirée.

Downtown 81 (USA/1981-1999/voir fiche)
Downtown 81 est un docu-fiction d’Edo Bertoglio du début des années 80 sur l’artiste Jean Michel Basquiat et la culture underground (artistique et musicale) du New York de l’époque. Jacki nous présente aussi son programme dont le thème est la culture alternative et souterraine américaine des 80ies (de la new wave au hip hop), à travers trois films (Downtown 81, Wildstyle, document important sur le début de la culture Hip Hop, et Permanent Vacation, film de fin d'étude de Jim Jarmush. On en reparlera, Jacki nous présentera plus en détails sa programmation 80ies).
Le premier film présenté ce soir est le témoignage d’une époque importante culturellement pour notre présent, et une œuvre atypique, à mi-chemin entre le documentaire et une fiction simple et épurée, presque naïve.
Résumé:
Un jeune artiste peintre (Jean Michel Basquiat dans son propre rôle), à cours d'argent et expulsé de son logis, erre dans les rues de Manhattan avec une de ses œuvres sous le bras dans l'espérance de trouver un acquéreur à sa toile. Au fil de son errance, celui-ci rencontre ses amis, une jeune fille, et même une riche administratrice de biens qui finit par lui acheter par chèque son tableau. Sans liquidité sur lui, ne sachant quoi faire avec ce bout de papier, il se lance à la recherche de la jolie jeune fille, et continue sa ballade en rencontrant des personnages hauts en couleurs et des lieux méconnus.
Ce docu-fiction hybride et assez surprenant nous entraine hors des sentiers battus, pendant une sorte de visite guidée du New York underground et « downtown » des 80ies. L’errance de Basquiat qui cherche on ne sait trop quoi (de l’argent, des copains, des copines, de la drogue, de la reconnaissance ?) est un véritable prétexte pour nous emmener dans des endroits qu’on ne reverra jamais, avec des personnages clés de la culture de l’époque, qu’ils soient musiciens ou artistes de tous horizons (mode, musique, peinture, etc). On y rencontre donc des gens hors du commun, et le son est hip hop, new wave et d’autres trucs chelous (Kid Creole & the Coconuts, Deborah Harry/Blondie, le groupe japonais de ouf The Plastics-spéciale dédicace à leur son de malade*-, James White & the Blacks, Tuxedomoon, Saul Williams à la voix-off, Fab Five Freddie, pour ne citer qu’eux…).
Tout le gratin du New York des années 80. On constate que ces années sont une époque de gros bordel, où les bourges friqués et cokés achetaient comme ça des tableaux pour 500$ à des artistes junkies en galère (mais talentueux), parce que ça fait tendance (« Si on réussit ici, on peut vendre n’importe quoi » nous dit Basquiat). La rue n’était pas encore (presque) un business artistico-culturel. Un mélange bizarre entre la rue trop pauvre et trop crade et les apparts super propres des riches newyorkais. Et puis les synthés… Vive les années 80.
Sinon, il y a quelques élans poétiques, à la manière des quelques notes de flûte de Basquiat qui les sème dans la ville au fil du métrage. Les parties musicales sont nombreuses, et le son reste d’une excellente qualité, malgré l’histoire mouvementée de ce film et de sa conservation (tourné en 1981, puis perdu, il a été retrouvé en 1998 et monté en 2000 pour ressortir presque 20 ans plus tard). Par contre, les quelques scènes de fiction sensées articuler un récit sont très bancales et fonctionnent moins bien que les rencontres « réelles ». Les dialogues et le jeu ne sont pas convaincants, mais font plutôt sourire (Basquiat est peintre et non acteur). On pense à la scène de la « fée du ghetto », sorte de clocharde junkie, qui quand on l’embrasse, et notre héros très sceptique et réticent s’accomplit à la tâche, devient une magnifique jeune fille type poupée barbie comme par magie (tiens c’est Blondie). C’est maladroit et très naïf, mais on se marre bien quand même.
Malgré ce caractère très cheap, série B aux moyens pauvres, qui nous sort un peu du film, la ville de New York est vraiment bien filmée (les purs plans avec les immeubles et leurs perspectives écrasantes, ou la scène dans le ghetto où il marche pendant qu’on lui propose de la drogue, que des filles l’accostent ou qu’un type se fait tabasser), la voix de Saul Williams nous accroche, et Downtown 81 reste un document important sur cette époque d’effervescence artistique (et sociale?), sur l’émergence du graffiti ou de certains groupes musicaux, et surtout de l’artiste Jean Michel Basquiat qui allait exploser quelques années plus tard. C’est aussi un film sociologique et culturel intéressant et brut, d’une grande liberté (à l’image de ce jeune qui se balade où il veut et où le vent l’emporte. « Quel est votre moyen d’expression ? -Je réponds toujours : Extra-Large »), qui brosse une esquisse d’une époque très précise, essentielle à comprendre pour nos cultures contemporaines occidentales (les premiers graffs à l’arrache entre autres).
Et puis ça change de voir ce film que je n’aurai jamais vu de moi-même, et là pourquoi pas ? Basquiat nous emmène dans des endroits qu’on verra jamais ailleurs (comme dit Jacki), et en ça la partie documentaire est le véritable intérêt du film. A voir si la peinture moderne, les gros synthés et les années 80 vous font kiffer (et je mens en ne parlant que de synthés parce qu’il y a plein de sons différents et diversifiés).
Moi j’ai bien aimé quand même, à part quelques longueurs.
Pour plus d’informations sur le film et son contexte, je vous invite à consulter la fiche du film, ainsi qu’une interview de Maripol (qui produit le film) sur chronicart.com (1), présenté et mis en page par Jacki.
Et puis quelques liens internet aussi.
http://www.downtown81.com/
http://www.jean-michel-basquiat.net/%20
http://french.imdb.com/title/tt0208993/combined
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Michel_Basquiat%20
http://www.dvdcritiques.com/critiques/dvd_visu.aspx?dvd=4543
http://www.chronicart.com/downtown81/ev1.htm (1)
http://www.cinemovies.fr/fiche_film.php?IDfilm=348
http://en.wikipedia.org/wiki/Edo_Bertoglio%20
http://www.youtube.com/watch?v=qLl44pj7a70 *



The Crazies (Romero/USA/1973/dvd Wildside/voir fiche).
En seconde partie de soirée, après une discussion sur le premier film, qui n’a visiblement pas fait l’unanimité parmi les gens (et certains s’en vont encore avant le 2e film), on revient à quelque chose de plus dans mes cordes : du cinéma de genre. C’est avec ce film là (prêté par Manu) que j’ai découvert Romero et que je me suis ouvert à son œuvre (j’aimais moyen les films de zombies sans le connaitre). La première fois que je l’ai vu, c’était la première fois que je me projetais dans un film catastrophique en me disant « Putain, si c’était moi, ce serait chaud pour ma gueule. Qu’est ce que je ferais, comment réagirais-je ? ». Pour exemple, ces images de militaires en combinaisons blanches et masques à gaz qui viennent perquisitionner et mettre en quarantaine pour une « bonne » raison (éviter la propagation d’un violent virus) les habitants d’une petite ville américaine atteinte d’une épidémie (totalement créée par l’homme) qui ne comprennent la violence et la brutalité inexpliquée d’une loi martiale décidée au dernier moment par des gens incompétents ou inconscients de la situation. Et bien entendu, Romero entretient cette confusion, afin qu’il soit impossible de différencier les gens malades, fous et atteints du virus, et ceux qui, réaction tout à fait logique et humaine, se défendent pour survivre, face à une oppression complètement insensée. Les militaires sont eux-mêmes dépassés par les évènements (le premier officier qui n’est pas au courant et croit que c’est un vaccin-test, et son supérieur qui s’aperçoit que ses effectifs sont bien insuffisants pour faire face à cette crise), et on comprend très vite qu’ils sont spécialisés dans les émeutes. La scène où l’officier noir (décidement, Romero kiffe les héros blacks) ordonne à ses hommes de réquisitionner toutes les armes des habitants, le shérif comprend que ses libertés vont être bafouées et refuse en résistant. Il mourra très vite bêtement et c’est exactement ce que l’officier voulait éviter en donnant cet ordre, conséquence inévitable d’un système individualiste où chacun défend sa propre personne et les désarmer n’est pas vraiment une solution.
Le début du film aussi est particulièrement intéressant, puisqu’il fait directement écho à son premier film, La Nuit des Morts Vivants, et à sa scène d’ouverture mythique. Le garçon et sa petite sœur jouent à Johnny et Barbara, en faisant peur à celle-ci, comme son film de 1968. On nous présente tout cela comme un jeu, avec la distance ludique qu’il implique. On vient voir un film de zombie, ou en tout cas quelquechose qui y ressemble (ici, Romero nuance encore cette distance en les laissant humains et vivants, mais fous de rage, ce qui ne permet pas de les identifier à ceux non atteints par le fameux virus Trixie-ça sent le dossier CIA ou FBI, et ça m’étonnerai pas que ce genre d’histoire soit déjà arrivée là-bas). Et puis soudain, le petit Johnny devient grave et dit à sa sœur de se taire : il a vu une ombre (très expressionniste), celle de son père complètement barge qui est en train de tout défoncer dans la cuisine, puis verse de l’essence partout.
Titre rouge The Crazies sur des images de la maison qui brule. Et hop, on est direct au lit avec un couple tout mignon (l’infirmière et le pompier lol), elle est enceinte, ils ne veulent pas trop sortir du lit, mais là, faut y aller. On comprend très vite les enjeux, mais ça reste un peu flou, on capte rapidement la gravité du problème. Romero nous présente grossièrement ceux qui doivent survivre, car ils portent la vie, et leur survie devient l’enjeu du métrage, entre massacres de fous ou de soldats, et conflits internes des militaires et scientifiques et leurs procédures inutiles et contraignantes. Chargé de pression narrative, d’images chocs et de symboles (parfois grossiers) socio-politiques (l’anonymat et la brutalité des militaires en blanc et masques à gaz, les fous entassés dans le gymnase, le scientifique qui a trouvé une solution que personne ne connait et qui est considéré comme un fou et mis avec alors qu’il peut tout résoudre, les hommes politiques et généraux loins du problème qui cherchent les solutions les mieux pour eux, les bûchers de cadavres, les soldats qui foulent du pied les petits soldats), The Crazies est un film de genre politique dont le message est très (trop) clair : l’homme détruit lui-même l’humanité, et il n’y a aucune issue.
Un film de genre trop brut et trop politique qui n’a pas trouvé son public ce soir. Son côté grossier et rugueux dans la narration et la mise en scène (le jeu des acteurs et les situations extrêmes ne semblent pas avoir convaincu certains), et son aspect trop politisé, alors qu’on est toujours dans un genre bien balisé (le film de zombies) et qu’on s’ attend aux codes cinématographiques du nanar, font qu’on a du mal à entrer dans le film, à mi-chemin entre le film de genre et le cinéma d’auteur politique (ce qui n’est pas ici forcement un bon mélange, d’un point de vue esthétique et créatif). Il semble qu’on aie du mal à s’identifier aux situations et aux rapports entre les personnages, sans cesse conflictuels, et surtout à ce message limpide et matraqué, antimilitariste et politique.
Il est vrai que The Crazies est loin d’être le meilleur film du cinéaste (trop engagé politiquement au détriment de sa narration et son contenu, angoissant et sans aucun espoir), et que Romero, malgré l’importance de son œuvre par rapport à un pan de l’histoire du cinéma, n’est pas vraiment un grand metteur en scène ou un grand directeur d’acteurs, mais très proche d’un style brut et documentaire qui efface les distances permises par la mise en scène cinématographique. Disons qu’il lui manque une mise en scène grandiloquente, dramatique et prenante et plus de subtilité dans le traitement de ses thématiques, pour faire de ses films de grandes œuvres cinématographiques.
Loin d’être un chef-d’œuvre, ce film reste cependant essentiel (comme la majeure partie de son œuvre), d’un point de vue sociologique et politique, mais aussi évidemment cinématographique (il est intéressant de voir comment le réalisateur se joue des codes et motifs qu’il a lui-même réactualisé et systématisé au début des années 70 avec La Nuit des Morts Vivants. Voir compte rendu juin).
Romero est un pur auteur critique qui utilise le cinéma de genre pour distiller (souvent de façon brutale et très directe) son point de vue sur l’homme et son comportement en société. J’aimerai beaucoup montrer Chez Jacki, deux de ses films importants, La Nuit des Morts Vivants (1968) et Zombie/Dawn of the Dead (1978), afin de mieux comprendre et appréhender son œuvre trop souvent limitée aux clichés zombiesques et horrifiques. L’horreur chez Romero se trouve uniquement en l’homme qui reste la principale cause de sa propre destruction. C’est cette idée primordiale qui fait tout l’intérêt des films de Romero (auteur que j’aime beaucoup malgré tous ses défauts).
http://www.imdb.com/name/nm0001681/
http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Andrew_Romero
http://www.arte.tv/fr/Autres-themes/1193088,CmC=2096758.html
La prochaine séance sera programmée par Jacki, Manu ou Lucie, pour diversifier les films et les thématiques et découvrir de nouveaux horizons cinématographiques. Je compte aussi vous montrer d’autres films qui sortent du cadre « Triades et Yakuzas », mon programme de départ, non achevé. Les PCJ vont s’étendre à d’autres endroits, en essayant d’augmenter les fréquences des séances et de se réunir plus souvent.
Voila pour cette fois.
Eddie, le 10 sept 2009.