lundi 28 septembre 2009
The Wrestler de Darren Aronofsky (USA/2008/105’’/35mm/Couleur/Vostfr).
A la fin des années 80, Randy Robinson, dit The Ram ("Le Bélier"), était une star du catch. Vingt ans plus tard, il ne se produit plus que dans des salles de gym de lycées ou des maisons de quartier... Brouillé avec sa fille, il est incapable d'entretenir une relation durable avec quiconque : il ne vit que pour le plaisir du spectacle et l'adoration de ses fans.
Mais lorsqu'il est foudroyé par une crise cardiaque au beau milieu d'un match, son médecin lui ordonne d'abandonner le catch : un autre combat pourrait lui être fatal. Contraint de se ranger, il tente de renouer avec sa fille et, dans le même temps, entame une liaison avec une strip-teaseuse vieillissante.
Pourtant, son goût du spectacle et sa passion pour le catch risquent bien de reprendre le dessus et de le propulser de nouveau sur le ring...*
(*http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=86254.html)
Après π (Pi. 1998), Requiem for a Dream (2000), The Fountain (2006), voici le retour de Darren Aronofsky, et surtout le retour d’un monstre sacré du cinéma, l’énorme Mickey Rourke (décidément, après Eastwood de Gran Torino, Lee Jones dans La Brume et Johnny dans Vengeance, voici encore une gueule taillée à la serpe, comme une écorce d’arbre cinégénique).
Un film atypique, description minutieuse, presque documentaire, de l’univers du catch et ses enjeux cachés : discussions dans les vestiaires pour répéter les combats et les enchainements des coups (ces scènes de proximité avec ces catcheurs de seconde zone nous les montrent dignes, sincères et touchants dans leur mise en place d’un spectacle truqué mais sans autre concession), le détail des combats spectaculaires et réalistes (les plans au steadycam sur le ring sont magnifiques), l’opposition méchants/gentils du monde du catch et leur préparation, la drogue et les produits pour booster le corps, le fait justement que ces corps s’autodétruisent par et pour le spectacle, et surtout le public, à la fois témoin et responsable de cette déchéance et cette destruction, spectateurs américains beaufs et primaires, pour qui « the show must go on » (la scène où plusieurs enfants lui sautent dessus pour jouer au catch alors qu’il vient de se lever en fait un gros nounours musclé).
Et le spectacle doit continuer, malgré le mal être et le déclin de ce catcheur/bélier vieillissant, et surtout son état de santé déplorable. Le film finit d’ailleurs sur son saut de la 3e corde, les coudes en avant, coup spécial de Randy The Ram (qui doit lui bousiller le corps à chaque essai..). Les gros plans et le steadycam nous plongent au cœur de l’action, mais d’abord de la déchéance d’un homme que la vie a trop marqué (le catcheur mais aussi le comédien).
Les blessures qu’il porte, soulignées par la proximité de la caméra et du son (chaque scène de combat étant un monument de violence et de labeur: on sent la fatigue dans chaque coup, ils se font mal mais continuent, et le combat spécial avec agrafeuse, échelle et barbelé, à la fois cruel et « exotique », souligne parfaitement cette dimension légèrement sado-maso), nous font autant mal que le vide et le pathétique de sa vie et de son travail. La scène des autographes et photos-souvenirs synthétise parfaitement cette idée: des vieux catcheurs à la retraite, qui ont connu leurs heures de gloires dans les 80ies et qui attendent aujourd’hui de potentiels fans en somnolant, après une vie passée à se « foutre sur la gueule » et détruire leur corps (le catch n’est pas que spectaculaire et truqué malgré l’idée préconçue qu’on peut en avoir, la dimension violente, douloureuse, dangereuse du catch est parfaitement décrite par Aronofsky, crument et sans la sublimer).
Ce personnage fatigué de Randy The Ram, qui n’est rien en dehors du ring (excellente scène de son arrivée au travail dans le supermarché avec en parallèle le bruit d’une salle électrisée qui l’acclame, et la manière dont il assure le spectacle au rayon boucherie-charcuterie pour exorciser ce travail aliénant et son anonymat) parfaitement incarné par Mickey Rourke (prestation magnifique entre bourrin et délicatesse), est un rôle parfait pour lui. Son histoire ressemble tellement à celle du « Bélier » que c’en est troublant. Ce parallèle intéressant entre son rôle et sa vraie vie, en fait un personnage imposant, épais et charismatique. On le suit dans son dos dans cet univers pathétique sans jamais se lasser. C’en est d’ailleurs le seul personnage intéressant du film, les rôles féminins manquent d’intérêt, sa relation avec sa fille (et ce personnage) étant survolée et absolument pas développée, ainsi que Cassidy, cette stripteaseuse vieillissante. Il tombe amoureux d’elle (scène maladroite et touchante), et le parallèle entre leur métier du spectacle où le corps est l’outil primordial et l’âge l’ennemi est pertinent. Mais au final, Randy préférera les spots éblouissants et les cris du public, et laisse s’envoler l’espoir de refaire peut être sa vie (pour sauter sur son destin les coudes en avant). Le contraste entre leurs vies respectives (mère d’un fils pour Cassidy et petit job d’appoint pour Randy) et ce qu’ils projettent d’être est judicieux et articule le film jusqu’à la fin.
Un beau film sur la « magie » du spectacle et ses limites, la contradiction entre célébrité et anonymat et surtout la volonté de tout laisser, de tout détruire pour la gloire, et que le spectacle ne s’arrête jamais.
Notons quand même que ce film a un palmarès impressionnant. Il a reçu une trentaine de Prix (Lion d’Or à Venise, 2 Golden Globes entre autre) et une vingtaine de Nominations (dont 2 Oscars) dans de nombreux festivals de divers états américains en particulier (et surtout Meilleur acteur pour Mickey Rourke). Pour plus d’informations, voir cette page: http://www.imdb.com/title/tt1125849/awards.
Mickey Rourke est un grand acteur, qui incarne ici un monde révolu, à l’image de cette partie de catch sur Nintendo (la vieille toute carrée avec un jeu tout pourri) avec ce gamin qui lui dit que « Call of Duty 4 est un jeu super aussi » avant de le laisser seul face à sa grandeur passée des 80ies. Un ange-bélier déchu.
http://www.thewrestlermovie.com/
http://www.imdb.com/title/tt1125849/
http://www.foxsearchlight.com/thewrestler/
http://www.flogoo.fr/critique-24-the-wrestler.html
http://dooliblog.com/2009/02/22/the-wrestler-de-darren-aronofsky-2009/
http://www.addeeks.com/the-wrestler-aronofsky.html
http://laternamagika.wordpress.com/2009/01/16/the-wrestler-de-darren-aronofsky/
http://www.telerama.fr/cinema/critique-cinema-the-wrestler-de-darren-aronofsky,39138.php
http://www.dvdrama.com/news-31045-cine-the-wrestler-le-nouveau-choc-de-darren-aronofsky.php
Eddie, le 4 juin 2009.
En Quatrième Vitesse (Kiss Me Deadly) de Robert Aldrich (USA/1955/105’’/35mm/N&B/vostfr).
Ce mardi soir, pour prolonger en beauté ma rentrée cinéphile, je vais voir Kiss Me Deadly au cinéma Action Christine, en salle 1 (13 spectateurs environ). Voici un polar américain à l’ancienne, mais qui révolutionne le genre, dans une copie en Vo sous-titrée et en réédition exclusive. Le réalisateur Robert Aldrich (Les 12 Salopards 1967, Qu'est-il arrivé à Baby Jane? 1962, Vera Cruz 1954) nous livre en 1955 un classique du genre, un film policier d’excellente facture, avec un zeste d’intention politique et de vision critique par rapport à son sujet, en plus d’une certain recherche formelle et plastique.
Résumé :
Mike Hammer (Ralph Meeker) est un détective privé cynique, spécialisé dans les affaires de divorce et d’adultère, aidé dans ses magouilles par sa jolie assistante (Maxine Cooper). Quand il prend, de nuit, en stop une femme traquée vêtue seulement d’un imperméable (Cloris Leachman), qui lui demande de se souvenir d’elle et qui finira torturée à mort, Hammer décide de se lancer dans une enquête que la police lui conseille vivement d’éviter. Il passe outre les avertissements, s’enfonce dans ses recherches, et de cadavres en cadavres découvre une boîte mystérieuse, sujet de toutes les convoitises. Il se rend compte, trop tard, qu’il s’est embarqué dans une affaire qui dépasse ses compétences.
A partir de l’histoire de l’écrivain Mickey Spillane, auteur de pulps (publications populaires et peu couteuses), histoire réactionnaire et au personnage principal fasciste (selon le réalisateur qui fit modifier et adapter le roman), Aldrich en fait un film subversif et novateur. Il modifie le script pour faire de son détective Mike Hammer un véritable anti-héros cynique et plus que désabusé, et de ce film une critique détournée du maccarthysme, de la guerre froide et de la peur entretenue du nucléaire sur fond de polar violent et sombre.
Dès le début du film (qui commence direct), on est brutalement projeté dans la nuit noire, sur une route déserte avec une femme seule et paniquée. On a droit à la même action trois fois de suite, répétée dans des prises différentes. Trois fois, on la voit courir sur la route vers la caméra et tenter d’arrêter en vain des voitures, une répétition sèche et presque expérimentale. A la troisième, elle se met devant sur la route, le conducteur fait une embardée sur le bas côté et on découvre Mike Hammer dans sa décapotable qui décide, intrigué et curieux, de l’emmener. La scène de dialogue qui s’ensuit est juste géniale cinématographiquement et un peu onirique et poétique. Après les gémissements de la femme qui reprend son souffle sur un fond musical de Nat King Cole, pendant qu’un générique défile à l’envers par-dessus (encore une envolée expérimentale qui nous déroute et annonce le chaos dans lequel on va être baigné durant tout le film), leur discussion à demi-mot (proche du dialogue amoureux cliché) nous plonge immédiatement dans une enquête mystérieuse et un sombre complot, et nous montre un détective narcissique et individualiste qui ne pense qu’à lui et accorde peu d’importance au reste. Cette femme mystérieuse lui demande enfin de l’amener au prochain arrêt de bus et d’oublier toute cette histoire et cette rencontre. Puis elle réfléchit quelques secondes, et lui dit « Et si au cas où on n’y arriverait pas, souvenez vous de moi… ». C’est cette phrase, ce « Remember me » sentencieux et prophétique qui déclenche cette enquête et attise le désir de Hammer d’aller jusqu’au bout de celle-ci. Car, immédiatement après avoir dit ça, une voiture apparait soudain et provoque un accident. Notre héros est dans les pommes pendant que les méchants embarquent la femme pour l’assassiner par torture, puis envoient la voiture dans un ravin pour suggérer un accident. Sauf que manque de bol, Mike Hammer a la peau dure et surtout est très têtu. Plus il s’enfonce dans son enquête solitaire, plus les cadavres, les avertissements, les règlements de compte et les obtentions d’aveux violentes et brutales s’accumulent. Mike Hammer est direct et efficace, il ne prend pas de pincettes avec les méchants et leur en fout plein la tronche sans discuter, toutes les femmes qu’il rencontre (même les méchantes) lui tombent dans les bras et semblent charmées par ce mâle viril et brut. Ses méthodes sont très discutables, et on sent qu’il est très vite dépassé par les évènements au fur et à mesure qu’ils se profilent. C’est assez rare de voir ça à l’époque dans le cinéma américain, où les héros sont mus par des motivations plus justes ou légitimes et incarnent une certaine idée de la moralité et de la justice. Ce n’est plus le cas ici, où le cinéaste nous dépeint un monde pessimiste et corrompu dans lequel évolue un homme sans scrupules et poussé par ses sentiments primaires et la vengeance. Les codes du genre sont bien présents, jusqu’à les user : bagarres, coups de feux, belles voitures, séductions multiples, cadavres, perte de l'ami cher (magnifique second rôle du pote garagiste interprété par Nick Dennis) et son deuil au comptoir d'un bar de jazz. Une histoire de vengeance donc, sur fond ou prétexte d’enquête policière, qui dévie ensuite vers le complot d’état, pour une dimension plus politique et critique (on parle de « Projet Manhattan, Trinity, Los Alamos », histoire de complots et de magouilles gouvernementales existantes et réelles qui nous font dresser l’oreille). L’enjeu de tous ces meurtres et ce que cherche finalement Hammer, c’est une petite boite étrange et source de toutes les convoitises et les conflits (on pense à la boite de Mulholland Drive de Lynch). Sorte de boite de Pandore, elle cache en fait un horrible et dangereux secret, et symbolise la peur du nucléaire en pleine période de guerre froide (elle contient une sorte de source nucléaire très puissante qui irradie et crame tout quand on l’ouvre). La scène finale est bien intéressante de ce point de vue. Après une discussion entre un couple de méchants (le docteur dit à la jeune femme de ne surtout pas ouvrir cette boite quoiqu’il arrive, et il insiste bien sur ce point), celle-ci le tue, et, trop curieuse, elle ouvre malgré tout la boite (le héros a aussi tenté de l’ouvrir une ou deux scènes plus tôt, pour se faire une méchante brulure à l’avant-bras), et tout doucement, dans un hurlement strident et une lumière de plus en plus aveuglante, elle disparait en brulant (encore un délire esthétique très expressionniste fantastique et expérimental, on pense à la fin d’Indiana Jones L’Arche Perdue), pendant que Mike s’enfuit avec sa jolie secrétaire qu’il vient de sauver. Ils courent sur la plage alors que la maison derrière continue de bruler et on finit sur eux qui se retournent pour la regarder. Final pessimiste qui n’apporte pas vraiment de résolution à l’enquête, et ne nous dit pas comment cela va finir (l’irradiation nucléaire s’arrêtera t’elle ?). Un point de vue très sombre et intéressant pour l’époque (adaptation d’un banal roman noir en cauchemar apocalyptique et nucléaire) en plein maccarthysme, dénonçant une société américaine corrompue et rongée par la peur, et détruisant la mythologie du héros hollywoodien.
Le film fut mal reçu à l’époque aux Etats-Unis, mais la critique européenne en particulier française l’encensa et fit de Robert Aldrich un réalisateur essentiel. Une rétrospective lui était d’ailleurs consacrée à la Cinémathèque française du 26 aout au 5 octobre 2009.
En tout cas, un bon film de genre, à la photographie noir et blanc magnifique d’Ernest Laszlo, au découpage nerveux et prenant, au rythme soutenu et effréné, au style très novateur et toujours d’actualité qui revisite le mythe de la boite de Pandore, et qui mérite d’être mieux connu. Je compte d’ailleurs le trouver en DVD pour le montrer prochainement Chez Jacki lors d’un cycle films noirs/polars US classiques (Naked City, Force of Evil, Raw Deal,…), et découvrir d’autres films de ce réalisateur essentiel.
A lire :
Pierre Sauvage, Entretien avec Robert Aldrich, Positif, juin 1976.
http://french.imdb.com/title/tt0048261/
http://fr.wikipedia.org/wiki/En_quatri%C3%A8me_vitesse
http://archive.filmdeculte.com/culte/culte.php?id=107
http://www.dvdclassik.com/Critiques/dvd_kissme.htm%20
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=5071.html
http://www.cinetudes.com/Aldrich-Kiss-me-Deadly-En-quatrieme-vitesse_a63.html
http://www.notrecinema.com/communaute/v1_detail_film.php3?lefilm=1039
http://www.actioncinemas.com/presse/enquatriemevitesse.pdf
http://films.blog.lemonde.fr/2006/08/26/2006_08_aldrich/
Eddie, le 1er Sept 2009.
Libellés :
Films vus en salle,
Polar,
Série B,
USA
Inscription à :
Articles (Atom)