vendredi 25 septembre 2009

Compte-rendu de la projection du 24/03/2009. 6e séance.



Après deux semaines d’absence, on revient enfin chez Jacki pour une nouvelle projection.
Pour prolonger le panorama sur Kinji Fukasaku, le film proposé ce soir est un des classiques du réalisateur, et surtout l’un de ses plus nihilistes avec Le Cimetière de la Morale (1975) : Gendai Yakuza : Hito kiri Yota (Yakuza moderne, Okita le Pourfendeur -1972). On retrouve encore le fameux Bunta Sugawara dans le premier rôle, avec sa gueule grimaçante et son air de blazé qui se fout de tout, dans ce personnage auto-destructeur et sans concession de jeune chien fou, « qui aime les filles et la bagarre » (encore). D’ailleurs sa relation avec la prostituée qu’il a amené dans ce milieu, est particulièrement intéressante : deux êtres remplis de tristesse et de solitude qui ont tout perdu ou en tout cas plus grand-chose à perdre, et elle à cause de lui. Malgré ça, ayant besoin tous 2 d’amour et de chaleur humaine, ils se lient jusqu’à se déchirer. La scène où elle balafre une autre femme, considéré comme rivale, puis le « Si tu veux toucher, faut payer. Je suis une pute. » pour se venger, et surtout la scène finale, où elle finit par devenir la cause de leur destruction, dans une pulsion de mort et d’amour : c’est elle qui, hystérique, va balafrer un yakuza pour « sauver » son compagnon, ce qui provoque sa rage lorsqu’elle meurt.
Le personnage principal, impulsif, violent, rageux, individualiste, et respectueux uniquement de son propre « code » de morale, est à l’image du film de Fukasaku : chaotique, tout comme le Japon d’après-guerre qu’il dépeint. Il provoque des bagarres puis des conflits plus importants, ne respecte rien ni personne, cherche à agrandir son territoire (illusoire) par tous les moyens, est allé plusieurs en maison de redressement et agit seulement par intérêt ou selon ses propres schémas « éthiques et moraux » (« Un chien qui lâche une fois sa proie ne sait plus mordre »ou encore « Je n’appartiens à personne »). Malgré tous ces faits négatifs, Fukasaku le rend humain et pathétique, en le situant dans la misère et le chaos d’après-guerre, et en nous le présentant tel quel, avec sa voix-off au début du film, nous synthétisant son histoire et son enfance en quelques minutes, de manière à la fois choc et comique (dimension tragicomique de l’œuvre de Fukasaku, extrêmement violente et désespérée, et en même temps humaine et drôle, à l’image de ces yakuzas, brutaux et touchants). Cet anti-héros permet à Fukasaku d’exprimer une critique sévère de la société japonaise, à travers l’univers des yakuzas. Alors que la société japonaise se modernise et s’occidentalise à grande vitesse et de manière brutale, elle laisse de côté et renie tous les aspects culturels et traditionnels du Japon qui a ternit son image durant et après la seconde guerre mondiale. Pourtant, les yakuzas sont toujours présents dans cette société, et doivent s’adapter à ces nouveaux changements. Toutes leurs valeurs traditionnelles, en particulier leur code de l’honneur si caractéristique, disparaissent et sont bafouées, pour laisser place à une corruption politique et des activités « légales » et surtout plus lucratives et propres, et moins dangereuses. Les gens comme Okita n’ont plus leur place dans cette société qui souhaite s’aseptiser malgré tous ses travers. Je vous conseille pour une lecture pertinente de ce film, d’aller lire cette chronique intéressante sur le film : http://wildgrounds.com/index.php/2006/10/07/okita-le-pourfendeur-1972-kinji-fukasaku/

Notons ce soir un public parsemé (7 personnes présentes : Mathilde, Jacki, Luce, Manu, Pierrot, Phildar, Eddie), mais assidu qui peut enfin, au fil des projections, effectuer des connections et des rapports entre les films montrés. On trouve qu’Okita dans son traitement de la relation « amoureuse », ainsi que tout le style visuel et dynamique de Fukasaku et sa vision critique de la société japonaise, font très « Nouvelle-Vague » et rejoignent ainsi Kamikaze Club.
Entre les 2 séances, on regarde le clip de Frank Zappa « City of Tiny Lites », réalisé par Tom Corcoran en 1979 (durée: 05:34). Un truc de fou en animation modélisme, sur du bon son à l’ancienne, avec une sorte de pâte à modeler animée et visiblement travaillée à la main image par image, et vu la qualité de l’animation, on peut constater que des images, il y en a beaucoup. Avec ses délires de visages
animés, de matière organique sans cesse en mouvement, on pense aux performances picturales de l’argentin Blu dans Muto (voir http://www.blublu.org/) qui anime ses peintures murales pour les faire se déplacer en ville et raconter des histoires de changements, de transformations. Une sorte de « Walace et Gromit » avant l’heure trippé sous acide, ça me fait penser au court-métrages d’animations que m’avait montré Phildar, mais pas moyen de les retrouver, je ne me rappelle plus le nom..d’ailleurs si Phil s’en rappelle on aura peut être l’info…
Après cet intermède musical proposé par Pierrot, Jacki nous présente le second film de la soirée.


Ça sera un Godard. Il aurait préféré nous en montrer d’autres bien mieux, mais selon lui, A Bout de Souffle semble essentiel pour introduire ce réalisateur, que je n’apprécie pas particulièrement depuis que j’ai du voir plusieurs fois Le Mépris au cours des études. Je garde cependant un bon souvenir de son premier film vu au lycée, mais pour le reste, alors que c’est intéressant à étudier, j’ai l’impression d’en garder le gout amer d’un auteur intellectuel et non plus populaire, qui brise les règles établies (héritage nécessaire et important) et qui base son œuvre sur ce simple fait (comme le fait de poser son nom sur un bidet). On a tout cassé, c’est intéressant, et maintenant. Bien sûr, j’espère évidemment me tromper complètement et changer mon avis sur Godard et sur la Nouvelle Vague plus généralement (j’aimerai bien voir aussi des films de Truffaut que je ne crois pas connaitre), par le biais de ces projections, où l’on propose des films et des lectures de ceux-ci, et la proposition de Jacki est l’occasion d’avoir accès à Godard, qui jusqu’alors m’était hermétique. Je mets donc mon scepticisme de côté et passe mon second contrat tacite de la soirée avec le premier film de Jean Luc Godard.

Présentation du film A Bout de Souffle de Jean Luc Godard (France.1960).
Michel Poiccard se rend à Paris dans une voiture qu'il vient de voler à Marseille. Il doit toucher de l'argent pour un travail qu'il a fait mais dont on ne sait rien. Sur la route il est sifflé par un motard et il tire avec le revolver qu'il a trouvé dans la boite à gants de la voiture volée.
A paris, Patricia Franchini rêve de devenir journaliste et vend le Herald Tribune sur les Champs-Elysées. C'est la fille que Poiccard cherche. Il s'installe dans sa chambre et discute avec elle tout en cherchant à joindre au téléphone un certain Antonio. Ils se rendent ensuite dans un parking où Michel vole une nouvelle voiture. Sa photo et son palmarès sont publiés dans la presse et Michel, qualifié de "meurtrier de la RN 7, est désormais en cavale. On le reconnaît, et la police retrouve sa trace. Tandis que Michel est à son rendez-vous avec un nommé Mansard pour toucher son argent, Patricia assiste à la conférence de presse du romancier Parvulesco. Elle va dénoncer Michel qui est abattu alors qu'il tente de s'enfuir.
(source : http://pagesperso-orange.fr/patrick.lecordier/aboutsesoufflefilm.htm)
Film emblématique de la Nouvelle Vague française, le premier film réalisé par Godard est un film extrêmement dynamique où l’on sent qu’il aime le cinéma et qu’il expérimente ses possibilités formelles, narratives et techniques. C’est aussi un film incontournable de l’histoire du cinéma, qui révolutionne les codes du films noirs autour d’un personnage de jeune con qui prend la vie comme elle vient (alors qu’on sait, comme dans tous les films de ce genre, comment ça finit, surtout après le meurtre d’un flic dès le départ), avec ses nombreuses références et ses phases cultes (le fameux « Si vous n’aimez pas la montagne,…, allez vous faire foutre » accompagné d’un regard caméra improbable, et déclamé par cœur par Manu, quelques secondes avant la scène) et véritable reflet d’une société et d’une époque : ce film est d’un grand intérêt sociologique, en particulier le rapport entre les deux personnages principaux. Belmondo a la classe (mais hélas pas autant que Chow Yun Fat) et on sent à l’époque qu’il fait encore semblant et qu’il veut déjà être un grand. J’ai un peu du mal à m’identifier à ce personnage qui me ressemble trop, un gars qui rêve et qui s’en bat les couilles de tout. Et quelle mort de bolos.. Dommage. Et puis Godard avec sa tête de fouine qui va poucave quand il reconnait Bebel.

Attention, je ne renie pas son apport énorme au genre du film noir, et plus globalement du cinéma. C’est effectivement un film essentiel, qui remet en cause et questionne de nombreuses choses, dans la société et le cinéma.
Sinon, au niveau technique, il y a vraiment des trucs géniaux, comme ce plan séquence dans l’agence, où Belmondo suit son pote derrière le comptoir, suivit de la caméra mobile (sur fauteuil roulant me dit Jacki) et fluide, dans un long mouvement intéressant et grave bien cadré, ou encore les plans dans la rue, où tout le monde se retourne vers la caméra, ainsi que toute la séquence d’intro dans la voiture. Chapeau bas au chef-op, Raoul Coutard qui devait aussi faire le cadre, en mode petite équipe souple et efficace pour petit budget et moyens de production, ainsi que la monteuse, Cécile Decugis : il y a un pur sens du découpage dans ce film (évidemment Godard a du étroitement bosser au découpage et au montage en tant qu’auteur, mais mentionnons quand même les techniciens). Je me demandais d’ailleurs deux choses au niveau de la mise en scène : la fille qui se fait soulever la jupe est-elle prévenue ? et l’homme à terre est-il mort à cause d’un vrai accident ou simplement allongé devant une voiture le temps d’un plan ? Réponse la prochaine fois, ou alors dans la fiche du film que nous fera Jacki. Et cette longue scène de dialogue dans la chambre, sorte de négociation infinie et laborieuse autour d’un objet du désir et d’un mystère insoluble : les femmes. Les 2 claques que Bebel se prend dans la tronche résonnent tellement fort qu’on a mal pour lui, d’ailleurs si je m’en rappelle, c’est qu’elles m’ont marquées.
C’était donc intéressant de regarder le premier film de Godard, véritable manifeste de la Nouvelle Vague et d’un certain cinéma direct et brut, afin d’introduire un petit cycle sur cet auteur avec qui j’ai du mal, mais dont j’aimerai approfondir malgré tout l’étude pour mieux comprendre son impact et son importance.
Je pense qu’il y a des liens à faire entre les deux films présentés ce soir, malgré la distance géographique et leurs différences culturelles. Ce personnage, moins nihiliste chez Belmondo, est dans les deux cas en marge de la société et des règles, vit comme il l’entend et noue des rapports particuliers avec les femmes (quoique plus violent chez Fukasaku, les deux sont malgré tout empreints d’amour). Et puis leur fin tragique et violente, mais tellement prévisible.
Un double-programme éclectique mais plaisant à voir et à connecter.

Liens :
http://www.dailymotion.com/video/x3c1m_frank-zappa-city-of-tiny-lites_music (la video du clip de Frank Zappa)
http://www.blublu.org/sito/video/muto.htm (la video de Blu: Muto)
http://wildgrounds.com/index.php/2006/10/07/okita-le-pourfendeur-1972-kinji-fukasaku/%20(la bande-annonce d’Okita le Pourfendeur, en fin de page)
http://www.youtube.com/watch?v=ihbr-drdNEs%20(celle du prochain film, Guerre des Gangs des Okinawa)

Les vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati (France/1953/96’’/N&B/Copie 35mm restaurée/VF).


Ah, ça fait tellement plaisir d’aller voir un bon petit film de Mr Tati, ici en mode estival, et surtout en version restaurée toute belle toute propre. Un bon film pour les vacances d’été qui amène un vent de fraicheur et de simplicité dans les salles obscures.
Je vais le voir au MK2 Beaubourg à 21h40 en salle 1 (bien remplie). Une vieille dame indécise au guichet semble hésiter et ne se souvient plus du film qu’elle était venue voir (son programme datait déjà d’une semaine ou deux). La caissière, peu patiente, la met sur le côté et me fait passer devant la pauvre mamie. Je prends mon billet et la convainc alors de venir voir Les Vacances de Mr Hulot et lui disant que ça va lui plaire et qu’elle ne regrettera pas. Et effectivement, je pense que la plupart des spectateurs étaient unanimes. Comme d’habitude, les films de Jacques Tati n’ont pas pris une ride (c’est le cas de le dire) et sont toujours aussi actuels (et celui-ci, encore plus de circonstance), la restauration soulignant la fraicheur et l’intemporalité de ces œuvres.
La scène d’introduction dans la gare (énorme les gens qui cavalent pour trouver le bon quai et se trompent) nous annonce direct la couleur : c’est parti pour les vacances. Cette scène, le film et l’œuvre de Tati en général, sont des documents importants sur la société française d’après-guerre, qui se reconstruit ici dans le loisir de masse.
Les situations sont toujours aussi exquises et savamment mises en place, on déguste les bêtises de Mr Hulot au fur et à mesure qu’elles augmentent et que les conséquences surviennent (la porte ouverte et le vent, la musique, la canne à pêche, les feux d’artifices, le coup de pied au fesses du mauvais gars, etc). Et tout le monde se marre, parce que c’est tellement énorme, même si on les connait par cœur ses gags.
La scène du diner me fait penser à celle de The Party de Blake Edwards, avec Peter Sellers mal assis derrière une porte susceptible de s’ouvrir souvent. Et ça marche à tous les coups, provoquant des conséquences en effet papillon. La folie et l’humour de Mr Hulot s’insinue petit à petit dans un monde bien réglé et où tout doit filer droit et sans problèmes. Il arrive avec son avalanche de maladresse et de fantaisie à bousculer la tranquillité et le calme de gens bien comme il faut venu passer des vacances ensoleillées et sans souci. Comme un gros nuage à l’horizon, Jacques Tati vient chatouiller toutes les conventions sociales, avec son petit style étriqué l’air de rien ou en costume de pirate. Du cinéma simple et presque enfantin. D’ailleurs, une fois encore les enfants et leurs trombines sont largement représentés dans ce film, et sont souvent témoins des frasques de notre cher Mr Hulot. Certains personnages secondaires sont vraiment intéressants, comme la jolie jeune fille douce (personnage récurrent), ou le mari qui suit partout sa femme de manière docile et passive, mais qui est témoin de l’immense fantaisie de Mr Hulot tout au long du film et de ses nombreux gags et situations hilarantes, et va le saluer discrètement à la fin presque en le remerciant (ses vacances ont du être moins ennuyantes, et comme lui, on se souviendra longtemps de la silhouette si caractéristique de Mr Hulot en rentrant dans la grisaille du quotidien). Tati transforme notre train-train quotidien et minutieusement réglé et bouleverse gentiment les normes sociales, avec ce fameux personnage atypique qui semble en dehors de la réalité (on dirait qu’il agit comme un enfant sans conscience ou comme dans un rêve).



Un beau film plein de poésie et d’humour, dans lequel chaque gag mériterait d’être décortiqué et étudié, vu l’ingéniosité burlesque dont fait preuve Tati à chaque scène.
Que dire de plus sur ce chef-d’œuvre d’humour et de fantaisie, maintes fois étudié et largement reconnu?
Les Vacances de Mr Hulot est un film intemporel qu’on verra encore avec bonheur dans des décennies. A voir et à revoir, à tout âge, vu la qualité du cinéma comique en France.

http://www.tativille.com/
http://french.imdb.com/title/tt0046487/combined
http://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Vacances_de_Monsieur_Hulot
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=2615&nopub=1.html
http://pagesperso-orange.fr/topsurf/
http://cinema.encyclopedie.films.bifi.fr/index.php?pk=51386
http://www.zerodeconduite.net/blog/index.php?itemid=18696
http://www.zerodeconduite.net/blog/index.php?itemid=18717%20
http://photoenligne.free.fr/LoireAtlantique/StMarcsurMer/PlageHulot.html%20
http://www.lexpress.fr/culture/tv-radio/les-voyages-de-monsieur-hulot_487130.html
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/ecoleetcinema31/films/vacances_hulot/fiche.htm

Eddie, le 2 juillet 2009.

Compte rendu Weekend Johnnie To (6 et 7 juin 2009).

Stage d’analyse de films à l’Ecran.
Pendant 2 jours, le cinéma l’Ecran nous emmène à Hong Kong, avec une analyse et une réflexion sur le réalisateur Johnnie To et son œuvre, à travers une programmation de quelques uns de ses films (parmi les meilleurs, mais hélas les plus connus). Une petite introduction à ce cinéaste/producteur hongkongais très prolifique, trois jours avant la sortie de Vengeance à l’Ecran pour une semaine.


Le week-end (qui fait écho à notre programmation « Triades et Yakuzas » chez Jacki, où l’on a pu déjà voir quelques autres films de To comme Breaking News, le premier Election et The Longest Nite, voir fiches) est proposé et animé par Dimitri Ianni, spécialiste du cinéma asiatique et chroniqueur sur le site Sancho does Asia (http://www.sancho-asia.com/), qui nous présente 4 films réalisés par To et produits par sa société la Milkyway Image Company. Deux polars classiques et reconnus en Occident (The Mission et PTU ) le samedi, et en extension, deux œuvres plus variées, mais caractéristiques de son univers riche et dense, qu’il renouvelle sans cesse dans différentes formes (Fulltime Killer, film de tueurs, et Sparrow, sur des pickpockets à Hong Kong).
Les films sont tous présentés en copies 35mm, en version originale sous-titrée français. Les copies sont toutes en bon état (niveau 1), sauf Fulltime Killer en état moyen (niveau 3). Ces films sont montrés dans la salle 2 (99 places) de l’Ecran, avec une présentation synthétique pour introduire chaque film, et une discussion après chaque séance, animée par Dimitri Ianni, qui nous livre un certain nombre de clés culturelles et pistes de lecture pour approcher et découvrir l’œuvre dense de Johnnie To.
On reste cependant très général, dans des présentations destinées à des spectateurs profanes, qui connaissent peu ou pas le cinéaste hongkongais. Ayant vu une bonne partie de l’œuvre de Johnnie To (et plus généralement beaucoup de polars HK), j’en apprends pas grand-chose de nouveau, mais cette approche permet de se recentrer sur l’essentiel. C’est intéressant d’avoir aussi ce point de vue sur ce cinéma si particulier et typique, et une question primordiale (problématique même de mon sujet d’étude) me vient à l’esprit : par où commencer pour présenter Johnnie To et ses films ? Comment montrer du cinéma de genre asiatique et contemporain à un public occidental, pour qui une grande partie de cette cinématographie est totalement occultée ?
Et en ce sens, la démarche du cinéma l’Ecran est intéressante, en proposant à son public de découvrir cet auteur génial et important, durant deux jours d’analyse de films.


C’est vrai que pour un début sur Johnnie To, commencer par montrer The Mission et PTU, (2 de ses films les plus accessibles et essentiels dans son œuvre), est un choix judicieux. Pour les spectateurs français qui découvrent Vengeance, ces deux films, dont il renouvelle les thèmes, les codes et les enjeux narratifs, constituent une introduction incontournable, ce sont de véritables préquels qui offrent une porte d’entrée indispensable et permettent de mieux apprécier son dernier film (à ce titre, Exilés, dont les thèmes et motifs sont repris, est aussi à voir), et de mieux comprendre comment Johnny Hallyday a été utilisé (recyclé) dans cet univers si spécifique, et la place qu’il occupe dedans. Je pense d’ailleurs retourner voir Vengeance à l’Ecran pendant sa semaine de sortie là-bas, et j’en parlerai à la fin de ce compte-rendu.
On commence donc le week-end d’analyse (après une présentation des 2 jours par Boris Spire, directeur de l’Ecran et Dimitri Ianni), par le film The Mission (distribué par Océan Films) à 14h30 le samedi, devant une quinzaine de spectateurs, connaisseurs et profanes.


Sorti en 1999, The Mission est un classique du polar hongkongais, qui fit immédiatement connaitre son auteur en Occident, et lui consacra sa place de « maitre du polar », au même titre que John Woo ou Ringo Lam. C’est une parfaite introduction à l’œuvre dense du prolifique Johnnie To.
L’histoire, banale, permet à Johnnie To une approche plus contemplative et psychologique du genre, plus centrée sur les personnages, leurs caractères et leurs rapports (en opposition à une profusion d’action romantique comme chez John Woo), et surtout de prouver sa maitrise technique de l’espace et du mouvement, en particulier dans la mise en scène des quelques scènes de gunfights qui parsèment le métrage.
Résumé :
A la suite de la tentative manquée d'assassinat d'un parrain local, cinq professionnels retirés du milieu sont engagés afin d'assurer la protection rapprochée de monsieur Lung. Curtis, James, Mike, Roy et Shin vont devoir faire abstraction de leurs problèmes extérieurs et s'adapter au groupe pour mener à bien cette soudaine mission : accompagner et protéger monsieur Lung dans tous ses faits et gestes. La tension, les multiples dangers et les longs moments d'attente vont rapprocher ces individualistes d'horizons divers. Mais leur amitié va être mise à mal : on ordonne à Curtis, ex-shampouineur, de tuer le jeune Shin qui a eu une liaison avec la femme du parrain...
(source: http://www.cineasie.com/The_Mission.html).

Petit souci technique au début du film, pendant le générique. Le format de fenêtre de projection n’est pas le bon (1:85 au lieu de Scope si je ne m’abuse), et au bout de quelques secondes, la fenêtre se recadre bien sur l’écran. On a loupé quelques noms au générique, mais c’est pas bien grave, car le film commence et nous prend direct, avec une musique entrainante (typique synthé hongkongais) pendant qu’on nous présente les cinq héros.
La musique de The Mission (mentionnée 2 fois par un spectateur pendant la discussion d’après séance), est comme d’habitude un plaisir, et toujours aussi énorme, encore plus ici au cinéma. Johnnie To trouve toujours les bons sons simples et efficaces qui assurent l’ambiance du film, et qui relancent et rythment les situations dramatiques (le petit synthé jazzy du début, la grosse basse pour les attaques du méchant ou guitares électriques pour les moments d’attente et suspension, et surtout le thème récurrent du film). Les fusillades sont subtilement mises en scène, les balles fusent, l’action est tendue et figée, les héros ont la classe et se font maitres de l’espace (la fameuse scène du centre commercial), à l’image de la mise en scène millimétrée et efficace de Johnnie To, qui distille dans ce film, tous les codes et les thématiques de son cinéma. On retrouve les mêmes tronches récurrentes (Lam Suet, Anthony Wong, Simon Yam, Wong Tin Lam et toute l’équipe de seconds couteaux), et on remarque aussi que les méchants ont une place, une profondeur, un certain charisme. Tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce polar un pilier du genre, unique et incontournable.
Dimitri Ianni nous rappelle que The Mission a été tourné en 18 jours, avec un budget dérisoire et une urgence propres à l’industrie cinématographique hongkongaise. Soulignons qu’à Hong Kong, il n’y a pas de CNC, ni de financement d’état, mais seulement des capitaux privés et des producteurs qui misent sur les coups rentables. Johnnie To remplissant les 2 critères essentiels qui font un bon cinéaste à Hong Kong, à savoir la rapidité et la ponctualité sur les délais de production, et le faible coût des tournages, il est normal qu’il ait réussi à s’imposer, sinon comme auteur de génie, du moins comme artisan cinéaste efficace, productif et rentable.
Ce film est, rappelons le, celui qui fit connaitre Johnnie To dans le monde entier, au-delà du sud-est asiatique, et lui apporta immédiatement une renommé internationale. The Mission, ou l’art de faire un grand polar malgré des contraintes imposées et en se jouant d’elles.


Après une pause déjeuner, on enchaine à 16h45 avec PTU (distribué par Pathé), second classique du film policier hongkongais de la journée, pour un peu plus de public (plus de 20 spectateurs présents). Ce film, devenu immédiatement un classique du genre dans le monde, est tout l’opposé de The Mission. Alors que ce dernier fut tourné en 18 jours dans une sorte d’urgence, le tournage de PTU (initiales de Police Tactical Unit) s’est étalé sur 3 ans. Pour les besoins du film, il s’agissait de filmer les rues de Hong Kong vides et désertes. Ainsi, Johnnie To et son équipe ont tourné ce film petit à petit chaque dimanche soir, dans une tranche horaire précise, seul moment de la semaine où le quartier populaire et commerçant de Tsimshatsui se vide et les boutiques se ferment. On constate que To est capable d’assurer des manières de tourner différentes, en fonction des besoins du film, et des contraintes de la réalité (une nuit, un quartier). Ce film fait preuve d’une grande maitrise, malgré ses nombreux problèmes de raccords potentiels (garder une continuité et une cohérence de mise en scène sur 3 ans chaque dimanche soir, c’est assez impressionnant). Et ce film l’est, impressionnant. Malgré une histoire absurde et hasardeuse, où l’on suit un flic (Lam Suet) qui a perdu son arme, et une équipe d’agents en uniforme menée par un Simon Yam, digne, silencieux et fataliste, qui aident à retrouver le flingue, dans une exploration nocturne de Hong Kong, surréaliste et improbable, tout est calculé et tout a un sens. Rien n’est laissé au hasard dans ce film, et tout concordera à la fin, à l’image de cette première scène dans le restaurant, où l’on ne comprend pas immédiatement pourquoi les petites frappes changent de place (le climatiseur est en panne et laisse tomber des gouttes sur le chef du gang, Ponytail), puis rechangent de place à l’arrivée de Lam Suet, imbu et arrogant, pendant qu’un pauvre client chétif se fait déménager de table en table sans rien dire. A chaque portable qui sonne (l’utilisation des portables chez Johnnie To est très intéressante, à la fois ressort dramatique et comique, qui débloque souvent une situation sans issue), l’action avance et se concrétise pour finalement terminer dans une chute inattendue, mais tellement prévisible, au vu de tous ces éléments qui s’enchainent pour converger vers un climax euphorisant (le boss des petits truands se fait planter dans le dos par celui qu’on attendait le moins suite au dernier coup de fil de la séquence, pendant que le flic cavale derrière les hommes de main qui ont rayé sa voiture et qui n’ont aucune connaissance du meurtre de leur chef: ces deux éléments narratifs, conséquences de toute une série de paramètres mis en place dans cette séquence auront une incidence importante sur la suite de l’histoire) et très «rock and roll», à l’image des guitares électriques au son et du pot de peinture vidé sur la voiture de Lam Suet.
Et quand ce dernier perd son arme de manière totalement idiote (en glissant sur une peau de banane, gag récurrent et archaïque, qui introduit et met un point final à cette aventure improbable), Johnnie To nous entraine dans une visite d’un Hong Kong by night, violent, corrompu et assez mystérieux (à l’image de ces fenêtres de voiture brisées, par l’enfant au vélo semble t’il). On suit ces flics sombres et nerveux dans une enquête implacable pour un ami qui se retrouve dans une sale histoire. Parce qu’évidemment, les gars qu’il recherche pensant qu’ils ont son arme, se sont mis eux aussi dans la merde, leur boss Ponytail étant mort sans qu’ils n’aient pu le protéger (alors qu’en plus, ils croisent celui-ci agonisant, qui manquent de les écraser en voiture, en l’insultant et sans le reconnaitre). Lam Suet se retrouve donc mêlé à cette sale histoire de meurtre, pendant qu’il détruit sa réputation auprès de la police et devient soupçonnable, en se trompant et en échangeant son portable avec celui de la victime qui sonnait (son frère était en train de l’appeler, parce que les collègues de Lam Suet, dans une salle de jeux d’arcade, tabassaient un de ses hommes pour obtenir l’information et savoir où est Ponytail qui est censé avoir l’arme de Lam Suet).

Le héros s’enfonce donc dans une histoire inextricable, et plus on avance, plus les problèmes s’accumulent avec de nouveaux personnages (la femme inspectrice autoritaire qui surveille Lam Suet, le père de Ponytail qui veut venger son fils, un petit bleu dans l’équipe de Simon Yam, et une bande de braqueurs chinois qui retournent sur le continent et qui n’avaient rien demandé à personne), et plus Lam Suet perd ses moyens et son sang-froid, jusqu’à un final miraculeux et incongru. Il retrouve son flingue dans la ruelle du début où il l’a perdu, quasiment au même endroit, par pure chance. Si le scénario de PTU semble hasardeux, chaotique et finissant par une pirouette scénaristique, il n’en est rien. Rien n’est du au hasard, mais bien plutôt à l’accumulation et l’enchainement de paramètres et de coïncidences qui se télescopent pour finir par se retrouver dans une scène finale incroyable et spectaculaire. Tous les personnages sont liés et chaque action a une conséquence pour la suite. Les notions de fatalisme et de cause à effets sont très importantes dans le cinéma de Johnnie To, et reviennent souvent dans ses films où il les met parfaitement en scène et utilise leur puissance narrative, dramatique ou comique. La cohérence et le réalisme (qui ne sont cependant pas mis de côté) laissent place à tout un jeu de hasards et de coïncidences (on pense aussi à Sparrow, dans lequel la manière dont Chun Lei/Kelly Lin rencontre les 4 pickpockets semble traitée sur le même ton, à travers ce prisme du hasard et du destin), qui développe l’histoire (fortement inspirée de Chien Enragé d’Akira Kurosawa, réalisateur dont Johnnie To semble très influencé) au fur et à mesure de rencontres impromptues (Wong Tin Lam qui prête sa batterie de téléphone, des jeunes qui ne respectent rien, Lo Hoi Pang en père vengeur et Eddie Ko en « invité-surprise » qui se flinguent à bout portant à la fin, une bande de braqueurs immigrés chinois (c’est pas clair comme ça, mais c’est un thème récurrent dans le cinéma hongkongais), le réalisateur Soi Cheang en indic’ toxico et martyrisé par la police, un gamin à vélo qui casse les vitres des voitures (enfin il semble, on ne le voit pas faire), des inspecteurs fainéants et véreux qui sont peu regardants sur les procédures d’enquête pour aller jouer plus vite au mah-jong (la tête de niais du flic-Wong Wa Wo- qui ne retrouve pas le portable dans les preuves rassemblées est énorme), des gangsters peu reluisants avec faux tatouages, des agents de police expéditifs aux moyens violents et directs, et quelques femmes flics implacables et autoritaires qui se mêlent de tout, mais perdent leurs moyens quand il s’agit de passer à l’action).
Un scénario bien ficelé, bon gré mal gré (en 3 ans de tournage quand même), qui reste cohérent et s’inscrit totalement dans l’œuvre du réalisateur, avec ses thèmes et personnages de prédilection, encore une fois renouvelés et actualisés.
Pour un petit résumé du film, voir la fiche de PTU.
Encore une fois, petit problème de projection, le film se coupe juste avant la scène finale et brise le rythme et la pression du spectateur pendant que les lumières se rallument. Mais heureusement, elles s’éteignent très vite et le film se relance, nous replongeant direct dedans. A noter aussi, quelques soucis de son (dus aussi à la copie sans doute), qui a duré tout le week-end, même le lendemain. Le son est sourd et étouffé sans qu’on s’en rende compte, et soudain il redevient assourdissant et clair, on entend tous les moindres petits bruits de la rue, tous les bruits d’impact, la musique etc., comme si avant il manquait de la sonorité et qu’elle arrivait tout d’un coup éclatante ponctuellement, ce qui brisait un peu l’attention et la concentration par intermittence, mais bon, rien de bien grave.

PTU est un film réellement intéressant, véritable critique contre la police (les méthodes employées pour l’enquête sont brutales et très peu respectueuses de la loi, même procédé que les gangsters) et la violence à Hong Kong, ville décrite ici comme un huis-clos fermé et angoissant, vide et désert (sorti en 2003 pendant l’épidémie de SRAS, ce film fait écho au traumatisme et à l’angoisse des hongkongais, en montrant un univers clos et assez sombre).
Pour souligner cet aspect noir et sombre de Hong Kong, on note encore la lumière magnifique de Cheng Siu Keung, le directeur de la photo habituel de Johnnie To, qui signe ici une lumière tout en clair-obscur et en contraste, avec des taches de lumière parsemées en douche dans des ruelles sombres et profondes (je pense au plan magnifique, dans la scène où les jeunes sont enfermés dans des cages, sur Lo Hoi Pang qui s’avance devant la caméra en commençant dans l’obscurité pour finir surexposé, avec une lumière en douche qui lui crame le front), qui donne une atmosphère mystérieuse et glauque de film noir à la hongkongaise. On remarque d’ailleurs que Cheng Siu Keung, collaborateur étroit du cinéaste, est le chef-op des 4 films présentés ce weekend, mais aussi d’une grande partie de la filmographie de To depuis Loving You en 1995.



Après les deux films présentés ce samedi, on constate la maitrise de Johnnie To, au niveau formel et technique, dans ces polars, un où l’on suit une équipe de garde du corps dont l’enjeu principal est la maitrise de l’espace, et l’autre où tout semble du à des coïncidences hasardeuses, mais où chaque élément est orchestré selon un schéma précis et millimétré. Cette dimension minutieuse apporte un réalisme à l’action et aux situations, en replaçant ces héros (gangsters ou flics) dans des positions humaines avec leurs faiblesses et leurs limites. Ce réalisme n’est pas une critique des codes habituels du genre (honneur, loyauté, héroïsme, courage), mais rend les personnages plus attachants avec leurs mains moites et leur transpiration, en les rendant à la fois distants et proches, ironiques et classes, souvent en contre point de ce qu’on attend (The Mission et PTU, par leur approche réaliste et psychologique et malgré leur classicisme, illustrent parfaitement cette tendance au héros illusoire, réel et presque banal: un héros malgré lui, par la force des choses et du destin-ou du hasard).
On remarque aussi l’importance et l’utilisation d’accessoires récurrents et contemporains: des pistolets et surtout des portables, objets essentiels qui viennent articuler le récit et relancer la tension dramatique ou le rythme du récit de manière ponctuelle et comique. Ces objets, au fort potentiel narratif, sont d’ailleurs très présents tout au long de l’œuvre du réalisateur qui les distille intelligemment (on pense à la scène dans Election 1, entre Lam Suet et Gordon Lam Ka Tung pour le sceptre, leurs ordres respectifs et contradictoires, et le double coup de téléphone qui règle leur situation insoluble).
Le premier jour autour de Johnnie To à l’Ecran se termine après une discussion intéressante avec Dimitri Ianni, et on peut dire que c’était plaisant de revoir ces 2 films (vus et revus maintes fois) sur grand écran. Rendez vous le lendemain dimanche pour la suite avec 2 autres films (Fulltime Killer et Sparrow) plus variés, précédés d’une matinée d’analyse « découverte et influences de l’œuvre de Johnnie To » à 10h30.

Je n’ai malheureusement pas pu assister à cette rencontre autour de l’œuvre du cinéaste, avec des extraits présentés pour illustrer certains aspects de son cinéma.
Voici les extraits présentés par Dimitri Ianni lors de cette matinée :
*The Heroic Trio (1993).
*Too Many Ways to Be No. 1 de Wai Ka Fai (1997).
*Beyond Hypothermia de Patrick Leung (1996).
*The Odd One Dies de Patrick Yau (1997).
*A Hero Never Dies (1998) (ce film est à voir, je compte le montrer Chez Jacki)
*montage : The Longest Nite (montré Chez Jacki)/ Mad Detective (scène finale des miroirs)
*Montage: 7 Samouraïs de Kurosawa/The Mission (scène du centre commercial)/PTU (fin)
*Election 1; 2 (représentation de la violence sans armes à feu)
*Throw Down (séquence des 4 tables)
Le choix de cette sélection est judicieux, et permet une approche vaste et intéressante de l’œuvre de Johnnie To.


J’arrive seulement pour la première séance du dimanche à 14h45 (13 personnes environ y assistent), avec Fulltime Killer (2001/distribué par CTV International), exubérant film de tueurs à gages, et véritable hommage au cinéma et à la culture populaire, avec ses nombreuses références cinéphiliques et citations iconoclastes (en vrac, El Mariachi et Desperado de Robert Rodriguez, Alain Delon, Léon de Luc Besson, Assassins de Richard Donner, Terminator, la série des Die Hard, le manga Crying Freeman de Ryôichi Ikegami et Kazuo Koike, Point break de Kathryn Bigelow, le cinéma de Hong Kong et ses thématiques, Counter Strike et les jeux vidéos du genre FPS/DoomLike, etc), reléguées par les situations et surtout le personnage de Tok, incarné par un Andy Lau survolté et incontrôlable qui imite ses héros de films et qui exécute chaque contrat comme un show spectaculaire (le sac de grenades jetées dans la cellule, le masque de Bill Clinton, et autre fusil à pompe dans une gerbe de fleurs sur fond de musique classique). Son rival, Ono/O (Takashi Sorimachi) est lui un tueur froid, méticuleux, solitaire, discret, mais extrêmement efficace, sa scène d’ouverture du film dans la gare est mythique et nous place direct dans l’ambiance du film, véritable spectacle visuel. La musique encore une fois vient appuyer le récit, et est grandiloquente ici, à l’image de ce ballet de mort (d’ailleurs l’imaginaire du tueur à gage est parfaitement souligné par Nancy, la première femme de ménage de Ono, qui s’amusait et se déguisait avec les armes et accessoires du tueur dans sa maison, avant de faire tuer à sa place). Au milieu de ce duel mythique opposant les deux tueurs, on retrouve deux personnages essentiels qui cherchent à comprendre, et vont nous emmener dans les profondeurs de cette histoire trouble. Chin (Kelly Lin qu’on retrouve dans Sparrow ) qui veut comprendre la mort de son amie Nancy et s’attache aux deux tueurs aux personnalités antagonistes, et l’inspecteur Lee (génial Simon Yam qu’on retrouve dans les 4 films du weekend dans des rôles denses et très variés) dont le but est d’arrêter à tout prix Ono et de cesser ce jeu de duel entre les deux rivaux. Il en perd la raison (dans la surprenante scène de la cellule du commissariat) et cherche dès lors à écrire une histoire dont il ne connait pas la fin. Une pirouette finale à la Usual Suspects clôt ce mystère et apporte enfin une conclusion à cette histoire, vérité ou mensonge, aucune importance pour Lee qui a trouvé de toute manière une explication, une réponse. Nous en savons autant que lui, mais c’est suffisant, et Johnnie To nous balade dans cette histoire alambiquée, ponctuée de moments de bravoure (vive le cinéma d’action made in HK) et de pauses contemplatives et poétiques, véritables réflexions sur l’homme et sur l’univers. Fulltime Killer, au-delà du film d’action, mélange les genres et les influences (à l’image du casting panasiatique et des langues multiples du film : japonais, anglais, mandarin, cantonais), et démontre encore une fois le style imposant et maitrisé de Johnnie To, où tout semble partir dans tous les sens mais rien n’est laissé au hasard. Ses références et citations nous montrent aussi l’amour et la connaissance du réalisateur pour le cinéma, dans un mélange parfois chaotique. Ce film est loin d’être mon préféré, mais voir ce véritable ballet visuel en salle est tout de même une expérience intéressante à ne pas manquer en tant qu’amateur de Johnnie To.


Un film qui va nous permettre de rebondir sur Sparrow, pour un double programme qui souligne la maitrise de To dans le mélange de genres multiples et variés et le renouvellement permanent de ses formes filmiques.
On remarquera aussi que les acteurs et les décors des films de Johnnie To sont systématiquement réutilisés et réactualisés, comme pour créer un univers connu et balisé mais qui nous surprend à chaque fois. On notera ainsi l’utilisation de certains acteurs et seconds rôles récurrents qui reviennent toujours dans des rôles très variés (Lam Suet et Simon Yam qu’on retrouve dans les 4 films dans des rôles totalement différents à chaque fois qui renouvellent leur image, Kelly Lin dans Fulltime Killer et Sparrow, mais aussi régulièrement Lee Hoi Pang, Eddie Ko, Lam Ka Tung, Wong Tin Lam, dans des seconds rôles riches et hauts en couleurs), et le recyclage et la transformation de décors, tel le premier étage du restaurant de la pause de PTU et de la rencontre entre Simon Yam et Kelly Lin à la fin de Fulltime Killer (ou encore l’utilisation judicieuse de la pluie à plusieurs reprises), et une multitude de décors de restaurants, de ruelles, que je n’ai pas le courage de relever ici. Soulignons aussi que la lumière et l’image sont signées par le même directeur de la photographie, Cheng Siu Keung, chef-opérateur attitré de Johnnie To depuis 1995 (Loving You), toujours accompagné de son gaffer/chef électro Woo Kwok-Chiu.

On passe enfin à Sparrow à 16h45, film le plus récent du programme et distribué par ARP (2008), 20 personnes assistent à la séance.
A Hong Kong, un sparrow (moineau/wen que en chinois) est un pickpocket (métier à l’ancienne et en voie de disparition. Un vrai pickpocket a d’ailleurs été embauché comme conseiller technique par la production pour leur apprendre les ficelles du métier). A l’image de ces pickpockets classes, Johnnie To nous livre un film très léger et nostalgique d’une époque révolue. Cette comédie romantique sent la nostalgie des années 60 et le glamour à la hongkongaise (très typique de leur cinéma). A la base, le cinéaste voulait en faire une comédie musicale avec chansons, mais pour des raisons de budget, il a pris la forme qu’on lui connait. Les compositeurs sont français (Xavier Jamaux et Fred Avril) et signent une musique toute en légèreté, avec une mélodie très simple mais variable à l’infini. On est ainsi entrainé dans les rues de Hong Kong rétro et glamour, un peu comme si on suivait ce moineau qui entre chez Simon Yam au début du film (et qui illustre les images du titre et du carton de fin), en tournoyant et en virevoltant, la manière de cette équipe de pickpockets habiles et précis qui font les poches des gens dans la rue de façon redoutable mais invisible, comme des oiseaux voleurs (vestes et habits à poches multiples et lames de rasoir sont leurs ailes et griffes), incarnés par des acteurs charismatiques et touchants. Mais cette grâce et cette légèreté sont encore une fois là pour nous démontrer l’idée d’une mise en scène subtile et maitrisée chez Johnnie To, qui fait preuve d’inventivité visuelle et de maitrise et créativité technique. Ce film est véritablement rafraichissant, à la manière d’un courant d’air, et opère un renouvellement dans le style, les formes et motifs du cinéaste (le groupe masculin, les parapluies, les rues de Hong Kong, les mouvements et les rencontres qu’ils provoquent, la musique) qui réinvente aussi le duel entre pickpockets, avec des chorégraphies gracieuses digne du patrimoine martial hongkongais. Faire les poches de quelqu’un relève de la performance martiale et se rapproche en cela des arts martiaux (avec leurs propres outils-rasoirs-, techniques et manières de faire). La femme a ici une place plus importante que dans les autres films programmés de Johnnie To (à croire qu’il a essayé de concilier ses deux publics, masculin pour les polars et féminin pour les comédies romantiques), au-delà de la simple potiche ou semeuse de troubles. Dans Sparrow, en plus d’incarner le désir amoureux des 4 protagonistes du groupe, elle est le but pour lequel ils vont se dépasser et tenter de lui rendre la liberté. Car cette héroïne est une immigrée chinoise (elle parle mandarin en opposition au cantonais des hongkongais) à qui un patron véreux (et ancien pickpocket accessoirement, pour un duel final) a pris son passeport et qui la retient auprès de lui de force. Les grands thèmes du cinéma de Hong Kong sont subtilement abordés (mais traités à la manière To), l’émigration et la nostalgie d’une terre qui n’existe plus, ainsi que la ville de Hong Kong à l’image d’une terre de passage, de transition, mais aussi d’une prison dorée, où le capitalisme sauvage, les spéculations économiques et l’augmentation des richesses ne cachent pas la misère et les inégalités (que Johnnie To montre cependant peu). Hong Kong est une ville de transition, de changement et de nostalgie, et ce film l’exprime particulièrement bien. Sparrow est d’un grand intérêt car Johnnie To y renouvelle son propre style, tout en abordant des thèmes chers au cinéma hongkongais. C’est une bonne conclusion à ce week-end, qui nous montre la grande richesse et créativité du cinéma de Johnnie To.

On termine le week-end avec une conclusion analytique sur l’œuvre globale du cinéaste, et ce qu’on a pu remarquer au cours de ces 4 films.
Dimitri Ianni nous parle d’abord de l’inventivité et la maitrise du réalisateur. Dans les films de Johnnie To, il n’y a aucun hasard (même s’il aime jouer avec ce concept), tout a un sens. Les paramètres s’emboitent selon un scenario carré et bien articulé, dans une logique implacable. Rien n’est insensé, et pourtant, rien n’est prévisible non plus. To joue sur les effets de surprise, déjoue les attentes, et trompe les apparences, car celles-ci sont souvent trompeuses. Il a une grande connaissance de l’être humain et décrit particulièrement bien les rapports entre eux, mais aussi leur psychologie, leurs tourments intérieurs et leurs réactions dans un environnement restreint, sombre, peuplé, moite et très profond. A l’image des personnages de The Mission, l’enjeu principal du cinéaste est la maitrise de l’espace et du mouvement. Sa mise en scène est subtile et juste, chaque élément s’imbrique dans les autres, et à force de créer un univers balisé, chaque film est une véritable réinvention formelle de ses propres thèmes, motifs, techniques, plein d’auto-citations et de références à son propre cinéma (en plus d’une lourde culture cinématographique). Vengeance en est l’exemple même, j’en parlerai plus loin.
Cependant, il faut souligner que la plupart du temps, Johnnie To travaille sans scénario (surtout sur The Mission, PTU, Breaking News en particulier, mais aussi plus généralement pour beaucoup de ses films, dont les tournages se chevauchent), malgré la présence du scénariste Wai Ka Fai au sein de l’écriture et la production des films de la Milkyway Images. Les tournages se font avec juste les grandes lignes de l’histoire, l’idée principale et quelques situations ou scènes clés. C’est un travail au jour le jour avec l’équipe de scénaristes du réalisateur: ils écrivent une séquence du film et la tournent, puis cherchent la suite, écrivent un morceau, tout en tournant certaines scènes communes et utiles et en montant ce qui a déjà été tourné. Ce processus de création et production (même s’il parait chaotique et dur à canaliser) laisse une grande place à la liberté et à l’invention, et les résultats sont très souvent efficaces (18 jours pour The Mission, 3 ans tous les dimanches dans la nuit pour PTU, Sparrow depuis 2005, etc). Pour des raisons budgétaires (on l’a vu plus haut, le cinéma est financé de manière privée à Hong Kong, et on remarque d’ailleurs le nombre impressionnant de marques identifiables dans ses films qui sont remerciées à la fin : To n’hésite pas à caler une bouteille d’alcool ou de coca, des costumes griffés, des lunettes et des portables classes, des beaux bijoux, qui font le charme du glamour hongkongais, sans compter l’éventuel apport dans le budget du film. Certains plans de ses plans sont ainsi de véritables vitrines publicitaires très discrètes), le cinéaste et son équipe subissent toutes sortes de contraintes (financières, matérielles, temporelles, de genre), avec lesquelles ils fabriquent leurs films, s’adaptant à tout type de situations, malgré ces contraintes, en particulier celle du genre imposé (le polar très souvent, mais aussi la comédie sentimentale, le film d’action, le mélange des genres, et même le film d’arts martiaux-The Bare Foot Kid et Throw Down) qui demandent cependant une réactivité et une créativité supplémentaires face à l’urgence, aux moyens réduits ou aux diverses contingences matérielles. Chez Johnnie To, le cinéma de genre relève de l’exercice de style développé, et est le moyen d’exprimer une grande inventivité, pleine de solutions et de bon sens.
D’autre part, la ville de Hong Kong pose des contraintes tout en étant utilisée judicieusement, car elle propose une multitude de décors naturels et très cinégéniques. Le réalisateur sait parfaitement les investir, comme le prouvent ses polars urbains. En cela, Johnnie To est un cinéaste typique de Hong Kong, et qui s’inscrit dans ses propres problématiques et thèmes (rétrocession à la Chine en 1997, immigration, désir de réussite sociale et opportunisme, place des amis dans une société individualiste, tension et pression sociale, le fait de garder la face, densité de population, violence et criminalité). Cet auteur prolifique, tout en révélant la richesse du cinéma hongkongais, développe son propre univers personnel et le rend quasi universel (et surtout accessible et exportable). Il est relativement bien distribué en France depuis 1999 (The Mission), et pas mal de ses polars ont eu une bonne visibilité ici, que ce soit par la distribution en salles ou par le marché vidéo/DVD. Quelques uns en particulier ont été nominés lors de festivals français (en particulier Cannes ou Cognac), et le dernier en date est Vengeance, co-produit et distribué par ARP, société de production française (notons en passant qu’il a été nommé Officier des Arts et des Lettres suite à la sortie de ce film). La Cinémathèque française lui a consacré une rétrospective (30 films) en mars-avril 2008 (l’interview par HkCinemagic de Jean-François Rauger, directeur de la programmation à la Cinémathèque et initiateur du projet est particulièrement intéressante à ce sujet (1)), qui a parachevé la reconnaissance de l’œuvre de Johnnie To en Occident.
(pour voir le programme de la rétrospective : http://www.cinematheque.fr/fr/projections/archives/fiche-cycle/johnnie,157.html)


Pour finir, j’aimerai parler du dernier film de To en date, Vengeance, « qui recycle beaucoup de choses de son cinéma, sans vraiment les dépasser », selon Dimitri Ianni. Il est vrai que ce film reprend énormément d’éléments de son œuvre, mais le réalisateur repousse sans cesse les limites de son propre univers, qu’il a lui-même défini. Ce film est à considérer comme le troisième d’une trilogie des « gangsters associés » après The Mission et Exilé, qui clôt cette série et qui possède les mêmes trames et qualités que les 2 premiers. Personnellement, je l’ai tellement aimé, que je suis retourné le voir au cinéma l’Ecran le dernier jour de sa programmation là-bas.
Ayant aussi fait l’accueil à l’Ecran le jour de la sortie du film dans ce cinéma, j’ai pu interroger quelques spectateurs, leur demander leur avis sur Vengeance, pour prendre la température de la réception de ce film. Dans l’ensemble, les gens semblent contents d’être allé voir « un bel objet de cinéma », un bon film de genre grisant et sympathique, malgré quelques uns qui accusaient la présence de notre chanteur national, Johnny Hallyday, dont la prestation étant nulle et ennuyante pour certains. Mais quand même, il a vraiment une gueule et des yeux perçants et profonds, dont Johnnie To a su tirer le meilleur parti en misant sur son silence et ses regards.
J’ai donc revu le film dans la grande salle 1 (moins de 15 spectateurs présents, si peu hélas, pour un public d’un certain âge qui semble apprécier le film et le jeu de Johnny, malgré la violence), en copie 35mm, format scope, son SRD (je suis allé fouiner en cabine pour voir en vrai les bobines d’un film de Johnnie To).
Et j’ai autant kiffé que la première fois. Le début expéditif, brutal et ultra lisible au niveau narratif pour la suite et les enjeux du film, les deux rencontres (dans le couloir de l’hôtel et dans le tunnel avec la lumière qui saute) entre notre héros frenchie et les trois stars du flingue (Anthony Wong, Lam Suet et Lam Ka Tung) et le traitement de ce trio, la scène en forêt de la fusillade par intermittence à cause de la lune et des nuages (idée géniale de mise en scène que de jouer avec la lumière), les méchants et le pique nique en famille, la scène de western apocalyptique des cubes de papier recyclé dans le terrain vague, le cousin d’Anthony Wong et son arsenal d’armes disséminées dans les déchets, la plage et cette mère qui garde une véritable colonie de gosses, ainsi que sa scène de drague en femme fatale enceinte face à un Simon Yam niais et hilarant, la fin avec les autocollants et la veste trouée de balles, et le coup des pertes de mémoire et des photos-souvenirs de Jojo, chaque idée de ce film est génialement mise en scène, malgré leur récurrence et déjà-vu jusqu’à l’usure. Même s’il semble tourner en rond dans son univers de gangsters figés et inexpressifs (à la Melville, on comprend qu’il s’en inspire et qu’il désire réaliser un remake du Cercle Rouge), on peut dire avec ce film que Johnnie To est véritablement un très grand metteur en scène. On le savait déjà avec ses autres films, mais il le confirme ici encore une fois. Et puis il ose partir dans des élans oniriques et mystiques et va jusqu’au bout pour exprimer ses idées (la scène de la prière sur la plage est audacieuse et fonctionne à merveille malgré son manque de crédibilité. C’est génial d’envoyer à Johnny les fantômes de tous ses proches qui réclament vengeance, ou tout simplement qu’il ne les oublie pas). C’est toujours un bonheur de regarder un film de Johnnie To, et celui-ci malgré son côté déjà vu et commercial, est un bon moment de cinéma, gracieux et très maitrisé. Son œuvre, même si elle commence à être connue en France, mérite vraiment d’être découverte et redécouverte (en particulier les films programmés lors de sa rétrospective en 2008), et pose les marques d’un cinéma contemporain et moderne.

Ce texte est complet avec les fiches des films mentionnés, une filmographie et les récompenses et nominations de Johnnie To, ainsi que l’article et l’interview des Cahiers du Cinéma qui sont dédiés au cinéaste et son dernier film. Je signale en passant que j’ai montré à Manu récemment A Hero Never Dies, Turn Left Turn Right (DivX) et Mad Detective (DVD).
http://www.hkcinemagic.com/fr/page.asp?aid=279 (1)
http://www.hkcinemagic.com/fr/people.asp?id=143%20
http://french.imdb.com/name/nm0864775/%20
http://cinema.fluctuat.net/johnnie-to.html
http://www.ecrannoir.fr/stars/stars.php?s=556
http://www.simonyam.com/
http://www.chine-informations.com/actualite/chine-johnnie-to-fait-officier-des-arts-et-des-lettres_13023.html
http://www.cinematheque.fr/fr/espacecinephile/evenements/johnnie/cinema-comme-terrain-jeu.html
Ce week-end offrait un petit panorama de l’œuvre de Johnnie To, qui nous a permis de mieux découvrir le cinéaste. Merci à l’Ecran et à Dimitri Ianni pour cette programmation. Et puis merci à Johnnie To pour ses films.
J’aurais plus de temps pendant les vacances pour aller voir plus de films, et je compte faire un petit compte rendu de chaque séance. A très bientôt donc amis cinéphiles.
Eddie le 5 juillet 2009.