lundi 21 décembre 2009

Il Etait une fois la Révolution (Giù la Testa) de Sergio Leone (Italie/1971/153’’/35mm/Couleur/Scope/vastfr).



Deux films de Sergio Leone en deux jours, ça assèche la gorge et ça fait plisser des yeux, mais la traversée du désert vaut le détour.
Comme promis la dernière fois, cette fois-ci, Il Etait Une Fois la révolution, dont j’avais beaucoup entendu parler, mais jamais l’occasion de voir. La belle aubaine que ce mini-cycle Sergio Leone, merci au cinéma Grand Action, à la Cineteca Bologna, à Carlotta Films, qui nous permettent de savourer à nouveau des chefs d’œuvres classiques du cinéma mondial. Et question chef-d’œuvre, ce film en est véritablement un, magistral et épique.
Second volet d’une trilogie qui n’existe qu’en France pour des raisons de traductions de titres (la série Il Etait Une Fois…, alors que le titre original est Giu la Testa, littéralement « Baisse la tête », plusieurs fois réitéré dans le film avant chaque explosion : le fameux « Duck, you sucker ! », ou le titre anglais A Fistfull of Dynamite), Il Etait Une Fois La Révolution est une réflexion désabusée sur la révolution et le passage à l’ère moderne, à la fois héroïque et picaresque. Sergio Leone est définitivement un grand réalisateur, comme le prouve encore une fois ce film dense.
Je suis étonné de voir quelques pubs au début de la séance, mais bon, le film commence peu de temps après, sous les yeux d’une bonne vingtaine de spectateurs, et s’ouvre sur une longue citation de Mao Tse Tung sur la révolution, clin d’œil politique ?-pourtant ce film est loin de vanter les mérites du régime communiste, au contraire plein d’humanisme individualiste-(« La révolution n’est ni un dîner mondain, ni un évènement littéraire (…) Elle ne peut être conduite avec élégance, avec délicatesse, avec grâce et courtoisie (…) La révolution est un acte de violence. »), enchainé sur un gros plan d’une fourmilière du désert en détail, sur laquelle quelqu’un est en train d’uriner. Voici donc le héros de l’histoire, Juan, un péon illettré et naïf, assoiffé d’argent, et qui va perdre ses illusions suite à une rencontre explosive.

Résumé :
Mexique, 1913. Un pilleur de diligences, Juan Miranda (Rod Steiger), accompagné de ses enfants et son père, et un terroriste irlandais membre de l'IRA, spécialiste en explosifs, John Mallory (James Coburn) font connaissance. Juan a toujours rêvé de dévaliser la banque centrale de Mesa Verde et voit en John le complice idéal pour son braquage. Il tente de faire chanter John afin de le persuader de s’associer à l’affaire, et de manipulations en désinformations, ils se retrouvent tous deux plongés en plein cœur de la tourmente de la révolution mexicaine. La banque de Mesa Verde s’avère plus riche en prisonniers politiques qu’en lingots d’or, et très vite, les deux compères deviennent malgré eux les héros d’une guerre qui n’est pas la leur…


La séquence d’introduction qui présente Juan (énorme Rod Steiger, avec qui Leone semble avoir eu des conflits sur le tournage) est juste géniale. Un pauvre péon paumé, pieds nus au milieu du désert, personnage picaresque par excellence, qui monte dans une diligence lors d’un arrêt, après avoir été accepté par le cow-boy responsable de la sécurité, qui l’a d’abord suspicieusement reluqué de la tête aux pieds (plan marrant sur les pieds nus de Juan). Dans la diligence, un autre monde auquel il n’appartient absolument pas, à l’opposé de ce qu’il est. Des riches bourgeois et un curé qui le méprisent ouvertement, s’étonnent quand il parle, le traitent d’animal, le font asseoir dans un coin tellement il est sale, sous le visage impassible et hagard de Juan qui les écoute docilement, malgré l’humiliation. Cette scène de disparité sociale est étonnante par son montage, alternance violente de gros plans immondes et dégoutants de bouches qui mâchent goulument leur repas, d’yeux méprisants, qui contrastent avec le raffinement et le luxe de l’intérieur de la diligence, sous leurs paroles humiliantes et dédaigneuses, d’un racisme explicite, opposées au silence calme de Juan. A se demander qui sont les animaux, question que nous pose bien évidemment ouvertement le réalisateur, dans cette séquence critique des disparités engendrées par la hiérarchisation sociale et le colonialisme, par l’homme blanc considéré comme supérieur à l’indigène. Ce mépris bourgeois et colonisateur se prolonge lorsque la diligence qui peine à avancer sur une petite route cahoteuse alors qu’un groupe de jeunes péons flâne, allongés sur le bord de la route. Ils se font copieusement insulter et traiter de fainéants, mais ce qu’on attendait sans le savoir, finit bien évidemment par arriver. Ces jeunes mexicains sont là pour une bonne raison : braquer la diligence et leurs passagers. Juan reste calme (il ne possède rien et n’a donc rien à craindre), car ce sont ses enfants et son père, formant une meute-famille de pillards justiciers, qui tombent à point nommé après cette situation de mépris et de dédain qu’a subi le chef de famille. Justice est faite (j’attendais que ça), et les passagers finissent à poil, jetés d’une carriole en plein désert, après s’être faits dépouiller (et abuser sexuellement pour la femme). Le premier personnage principal est présenté, ok.
Arrive alors le second héros, sur une moto à l’ancienne genre Indiana Jones, complètement masqué. Il passe à côté du groupe de pillards sans les calculer, ce qui n’est pas du gout de Juan, qui tire dans le pneu arrière de la moto pour l’arrêter. Le pilote s’arrête, regarde sa roue, enlève son foulard et ses lunettes, et on découvre un James Coburn nonchalant, qui s’avance tranquillement vers la diligence, demande du feu à Juan et lui prend sa clope de la bouche sans lui demander pour allumer toujours aussi calmement un petit bâton de dynamite qu’il balance à l’intérieur de la caravane, en leur conseillant de baisser la tête (« Duck, you sucker »). Il revient vers sa moto, se fait interpeler par Juan qui le menace, mais il reste calme et ouvre son blouson, qui recèle tout un arsenal exhaustif d’explosifs en tous genres. « Si tu me tires dessus, il faudra modifier les cartes, car toute la région sera pulvérisée et toi avec » lui dit-il. Pour illustrer ses propos, il sort une fiole de nitroglycérine et en verse une goutte au sol, ce qui provoque une monstrueuse explosion (les artificiers de ce film ont dû se faire plaisir, on pense aussi notamment à la scène du pont qui fait écho à celle de la bataille du Bon, la Brute et le Truand). Juan est subjugué et sa vision subjective opportuniste nous est suggérée par ce plan moyen de Coburn avec un titre incrusté au-dessus de lui : « Banque Centrale de Mesa Verde ».
Voici donc Sean Mallory (Juan comprend John, et l’autre le laisse dire, préférant occulter ses origines irlandaises), ex-terroriste de l’IRA (anachronie dans le film) qui a fuit l’Irlande pour les grands espaces mexicains. Les deux personnages sont là, et semblent directement issus de la tradition des romans picaresques (genre littéraire décrivant le récit de héros miséreux en marge de la société, issus de basse classe sociale et de leurs aventures extraordinaires et pittoresques). Des misérables futés qui deviennent des héros malgré eux, pris dans des évènements qu’ils ne maitrisent pas (géniale scène de la prison où les plans de libération de prisonniers politiques se répètent jusqu’à constituer une véritable armée de péons qui suivent Juan et sa famille surpris et dégouté qu’il n’y ait pas d’argent).
Mais si l’humour et la distance critique sont fortement présents, les sujets abordés sont grave (le flashback traumatique de Sean/John nous en apprend plus à la fin sur lui et ses motivations, et Leone, tout comme ses personnages, porte un regard désabusé et cynique sur le phénomène de révolution et celui de changement d’une époque, le passage d’une société naissante individualiste et un peu chaotique (le far west), à une modernité industrialisée qui écrase l’homme. Très sceptique face aux idéologies et surtout face à la révolution, Leone prend le contre point du western Zapata, sous-genre de westerns italiens à la vision un peu gauchiste, en critiquant ce phénomène et en montrant qu’il n’y a rien d’héroïque là-dedans. La révolution n’est pas montré sous un jour positif, elle est démythifiée, la mort est omniprésente (ces plans en grue sur les fosses remplies d’exécutés ou les longs travellings sur les cadavres), seule la survie compte, et lorsque les héros meurent, c’est loin d’être héroïquement embelli.


Leone ne croit pas en ces systèmes politiques utopiques et magnifiés (la révolution est selon Juan, une magouille pour que les élites éclairées manipulent le peuple), mais croit en l’humain, en ses émotions, ses réactions primaires et primordiales. L’homme a une place centrale dans ses films, qui le détaillent, le scrutent sous tous les angles.
Et puis côté spectacle, le cinéaste envoie du lourd. Notons la scène du pont et de son explosion, qui part en envolée lyrique après un canardage sonore de mitrailleuse lourde en bonne et due forme, et surtout la séquence finale, grandiose et magnifique. Sean se prend une balle par mégarde (« Et merde ! ») et tombe sous les yeux de son ami Juan à qui il dit de continuer le combat (ou de se barrer je sais plus). Il lui demande juste du feu, et son suicide me semble être l’explosion la plus impressionnante du film. Juan, face caméra, nous regarde droit dans les yeux, désespéré. Et le film finit sur cette image. Whah…
Sergio Leone est définitivement un immense cinéaste, dont les quelques chefs-d’œuvre sont à voir et à revoir.



http://www.imdb.fr/title/tt0067140/combined
http://fr.wikipedia.org/wiki/Il_%C3%A9tait_une_fois_la_r%C3%A9volution
http://www.allocine.fr/film/anecdote_gen_cfilm=929.html
http://lantredesseditieux.free.fr/spip.php?article127
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article6677
http://www.plan-neuf.com/?p=415
http://www.critikat.com/Il-etait-une-fois-la-Revolution.html
http://www.tvclassik.com/notule2.php?id_film=463
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/leone/iletaitunefoislarevolution.htm
http://www.telerama.fr/cinema/films/il-etait-une-fois-la-revolution,4976.php
http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/il-etait-une-fois-la-revolution-1/
Eddie, le 7 décembre 2009.