dimanche 27 septembre 2009

La Harpe de Birmanie (Biruma no tategoto) de Kon Ichikawa (Japon/1956/111’’/35mm/N&B/vostfr).



Je démarre ma rentrée cinéphilique sur les chapeaux de roues. Ce soir, La Harpe de Birmanie. Plusieurs semaines que j’ai entendu parler de ce film et que je le cherchais en DVD (sorti en zone2 chez Carlotta), mais en voyant qu’il passe lors d’une rétrospective « Maitres du Cinéma Japonais » à l’Espace St Michel (Hara Kiri de Kobayashi-que je montrerai chez Jacki- et La Femme des Sables de Teshigahara, entre autre, sont aussi programmés, une sélection distribuée par Carlotta Films), c’est l’occasion de l’admirer en plus large. Et je prends une claque énorme devant ce véritable chef-d’œuvre de cinéma. Ça faisait longtemps que j’avais pas chialé devant un film… A voir et à revoir, je compte vous montrer ce film magnifique et prenant par l’universalité et la puissance de son discours sur la guerre (point de vue étonnant au Japon, société portée sur le bushido, le sens du sacrifice et de la hiérarchie, et une vision de la guerre héroïque et fataliste).
Pourtant très simpliste, minimaliste, peu de dialogues, des personnages naïfs et attachants, ce film antimilitariste débordant d’humanisme est véritablement prenant, par le contenu du sujet mise en scène, et surtout de la musique envoutante de Akira Ifukube (compositeur de la musique de plus de 250 films, dont les séries Godzilla ou Zatoichi ), primée au Mainichi Film Awards 1957 à Tokyo.
Résumé:
Un régiment de l'Armée Impériale japonaise est en déroute au milieu de la jungle birmane quelques jours après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les soldats se trouvent Inoue, le capitaine musicologue et mélomane, et Mizushima, un joueur de harpe qui ravive le moral des hommes et sert d'éclaireur grâce à son instrument. Lors d'une halte dans un village, le régiment est cerné par les troupes britanniques. Afin d'éviter un massacre, le capitaine Inoue ordonne à ses hommes de chanter pour signifier leur pacifisme. Les soldats japonais peuvent ainsi se rendre sans violence. Mizushima se voit alors chargé de convaincre un groupe de résistants, réfugiés dans la montagne, de se livrer aux Anglais. L'opération est un échec et le joueur de harpe est laissé pour mort. Plusieurs jours plus tard, alors que ses compagnons s'inquiètent du sort de Mizushima, ils croisent un moine birman qui lui ressemble étrangement...
Les soldats de l’escouade sont tous des portraits d’hommes non pas brisés par la guerre, mais fatalistes et naïfs à la fois, plein d’espoir et de désir de survivre et de rentrer au pays, qu’ils savent détruit lors de l’annonce de la fin de la guerre. Mais le sergent a fait un serment : ils rentreront tous ensembles ou mourront tous ensembles, et la disparition de Mizushima l’empêche d’honorer sa promesse. Il s’agit donc de le retrouver pour le ramener au Japon, mais ce dernier, après une longue errance sur les chemins de l’enfer, parsemés de cadavres et de charniers, en a décidé autrement et s’investit d’une mission primordiale. Alors que le Japon est à reconstruire, il décide de rester pour enterrer les morts, faisant face à l’horreur et à la mort (conséquences réelles et logiques de la guerre). Car si au début du film, Mizushima et son escouade semblent évoluer comme dans un rêve, loin de la guerre et ses fracas, c’est parce que la musique les sauve et les préserve de la folie et des horreurs de la guerre, comme des enfants naïfs qui en ont peur et qui font abstraction de celle-ci. Ils sont dans un monde à part, perdu au beau milieu d’une jungle birmane dense et presque fermée au monde extérieur (ils apprennent la fin de la guerre par hasard et presque sans surprise, déterminés à en terminer et à rentrer chez eux pour reconstruire un pays qu’on dit dévasté). Et la musique est véritablement ce qui les sauve. On ne voit pas la guerre au début, on suit juste cette escouade de survivants affamés, mais soudés par la nostalgie du pays, un fort désir de survie et une passion salvatrice pour la musique. Menée par le capitaine Inoue, musicologue et mélomane de son état et véritable chef d’orchestre, la troupe chante pour garder sa motivation et rester humaine. Et toute cette idée de musique comme échappatoire à la folie des combats est cristallisée dans l’objet pivot de la harpe, dont le soldat Mizushima s’avère être un excellent joueur. Cette harpe de Birmanie est le symbole même de cette volonté de ne pas se battre et de survivre. Elle sert à la fois de catalyseur à la tristesse et aux malheurs des soldats qui chantent leur nostalgie, de signal quand Mizushima part en éclaireur, et permet de mettre fin au combat de manière pacifique (la magnifique scène dans le village au début contre les soldats anglais qui chantent aussi à leur tour, accompagnés par la harpe de Mizushima. La musique comme puissance pacifique. Mais lorsque son escouade est faite prisonnière et qu’il est envoyé pour une ultime mission (convaincre une autre troupe de soldats japonais déshonorés à l’idée de perdre la guerre et de se rendre, et prêts à mourir jusqu’au dernier et à laisser crever leurs blessés), qui termine en échec, Mizushima est enfin confronté aux horreurs de la guerre et à sa folie meurtrière, dans son parcours d’errance à travers les charniers et les nombreux cadavres laissés au vent sans sépultures. Après avoir détourné les yeux et passé son chemin, il revient sur ses pas pour enterrer ces hommes oubliés à la fin de la guerre, et comprend qu’il a survécu pour accomplir cette mission. Ce sera sa manière de reconstruire l’après guerre. Il endosse donc les défroques d’un moine, pour occulter son statut de militaire et devenir un homme saint (les moines sont extrêmement respectés en Asie, la scène où il tombe à genoux affamé dans un champ et qu’un paysan vient lui apporter à manger et de l’eau en se prosternant ou celle où un autre moine le félicite humblement pour l’austérité de sa pratique religieuse en voyant le piteux état de ses vêtements, sont particulièrement significatives de ce changement d’agent social). Il n’est plus le soldat porteur de mort, mais le moine porteur de sagesse. En se transformant ainsi, il modifie son destin et ne le fuit plus ni ne le subit.
La photographie en noir et blanc est absolument magnifique, à la fois onirique brumeuse et veloutée dans les scènes de jungle ou les chansons, et sèche et brutale quand on rencontre la mort. Les paysages birmans sont beaux et bien filmés, et l’homme parait si minuscule et dérisoire à côté. Les chansons sont prenantes et universellement compréhensibles, comme le montrent les nombreux échanges musicaux du métrage, et servent de moyen de communication et d’expression. La musique comme message de paix universel (la même chanson chantée en japonais et en anglais, deux langues pour le même message), et comme moyen de rester humain et digne, voila ce que raconte cet immense film, qui fait à sa manière le deuil d’une époque douloureuse et honteuse pour le Japon, en redonnant aux soldats leur place d’humain, avec leurs peurs, leurs espoirs, leur désir de survie.

La puissance de la musique occulte celle de la mort et de la guerre, et Mizushima en fait son chemin de rédemption (il apprend la harpe à un jeune bonze, et ne communique que par celle-ci auprès de ses amis, tiraillé entre l’envie de rentrer avec eux et de leur expliquer, et l’horreur qu’il ne peut oublier et qui le pousse à accompagner les morts laissés à l’abandon). L’idée des deux perroquets frères est aussi géniale. Pour retrouver Mizushima, Inoue achète à une vieille birmane parlant japonais (second rôle attachant et dense) qui fait du troc avec les prisonniers, un perroquet « dont le frère » est resté avec le moine qu’il croit reconnaitre. Il apprend à parler à ce perroquet pour communiquer avec Mizushima et le convaincre de rentrer avec eux. Mais celui-ci leur répond avec l’autre perroquet qui leur dit qu’il ne peut pas rentrer. Cet échange est magnifique et particulièrement ingénieux d’un point de vue de mise en scène.
La Harpe de Birmanie est donc un film anti-guerre, prétexte pour livrer une œuvre sublime pleine d’humanisme et d’amour et d’espoir en la race humaine. A voir et à revoir, le temps d’écrire cette critique, j’ai trouvé le film en DVD. Je compte le montrer chez Jacki très prochainement.

http://blog.hkmania.com/?p=3977
http://french.imdb.com/title/tt0049012/combined
http://eigagogo.free.fr/Critiques/harpe_birmanie.htm
http://www.critikat.com/La-Harpe-de-Birmanie.html
http://nihon-eiga.over-blog.com/article-20895353.html
http://wildgrounds.com/index.php/2007/04/12/la-harpe-de-birmanie-1956-kon-ichikawa/
http://www.evene.fr/cinema/films/la-harpe-de-birmanie-5840.php
http://www.arte.tv/fr/mouvement-de-cinema/actu-cinema/16-juillet-2008/2101814.html
http://www.notrecinema.com/communaute/v1_detail_film.php3?lefilm=18413

Eddie, le 31 aout 2009.