jeudi 24 septembre 2009

24 City (Er shi si cheng ji) de Jia Zhang Ke (Chine/2008/107’’/HD Cam SR/Couleur/Vostfr).



Résumé:
Chengdu, aujourd’hui. L’usine 420 et sa cité ouvrière modèle disparaissent pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe : “24 City”. Trois générations, huit personnages : anciens ouvriers, nouveaux riches chinois, entre nostalgie du socialisme passé pour les anciens et désir de réussite pour les jeunes, leur histoire est l’Histoire de la Chine.
Ce matin, j’avais décidé d’aller voir 24 City, le dernier film de Jia Zhang Ke, dont j’avais beaucoup entendu parler en bien depuis quelques temps. Direction MK2 Beaubourg où on le jouait encore, pour une séance du matin (11h20), dans la minuscule salle 6 (42 places je crois).
Une vingtaine de spectateurs, dont un vieux con qui arrive en retard, marche sur mon sac dans le noir en râlant « Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel », évite surtout de me remercier quand je le laisse passer, pour s’endormir ensuite en ronflant et se barrer à la moitié du film (fallait que j’en parle, il m’a trop énervé…), étaient venus regarder ce film magnifique, à la frontière entre documentaire et fiction. Premier film de Jia Zhang Ke que je vois (et je ne suis pas déçu). D’ailleurs l’aspect documentaire m’a surpris (je ne m’y attendais pas et croyait voir une pure fiction), dès la première interview de cet ancien ouvrier qui parle de son maître et de ce qu’il lui a appris. On le revoit ensuite en compagnie de celui-ci, un très vieux monsieur qui n’a plus toute sa tête, dans une séquence extrêmement touchante de retrouvailles toute en retenue et en mélancolie (l’ouvrier prend la main de son maitre pendant toute la scène durant laquelle ils se parlent peu et échangent quelques souvenirs, puis lui caresse les cheveux et la joue).
Et tout au long du film, le cinéaste nous présente 8 personnages aux destins étroitement liés à l’usine 420, qui fabriquait de l’armement militaire pour le gouvernement chinois, et qui prenait totalement en charge la vie de ses ouvriers. J’apprends plus tard, en lisant quelques critiques, que les 4 personnages féminins sont des actrices, dont Joan Chen (actrice très connue dans le pays) qui incarne une ancienne ouvrière, « Petite Fleur » qui « ressemblait beaucoup à Joan Chen », ainsi que Zhao Tao, qui joue souvent dans les films de Jia Zhang Ke (c’est le 6e ensemble). Les histoires des femmes sont scénarisées et répondent à l’Histoire, plus terre à terre (autour de l’usine, des évènements historiques, du travail), par des mots de mères, d’épouses, emplis d’émotion, de force et de tristesse (la scène de la femme dans le bus qui parle des retrouvailles avec ses grands-parents, ou celle qui tient sa perfusion le bras levé et qui parle de son enfant perdu pendant son « transfert » sont magnifiques).
Ce mélange subtil entre matière réelle et procédés sophistiqués de mise en scène (voire mise en abyme, pour le cas de l’actrice Joan Chen), nous donne une vision globale de l’évolution et de la mutation de la Chine, par une technique narrative à la fois intime et universelle, comme ces superbes plans fixes sur des gens dont on tente d’imaginer la vie.
Alternant avec ces témoignages réels et fictifs, et ces plans fixes « photos-souvenir », des plans silencieux de bâtiments d’usine, de machines, des derniers moments de travail et de la vie dans le complexe, et cette image de la façade de l’entrée principale, dont l’enseigne est progressivement enlevée, viennent ponctuer ce document cinématographique de mémoire, entrecoupé de citations des ouvriers, du poète irlandais W.B. Yeats, et du classique Rêve du Pavillon Rouge.
Véritable archéologue du présent, Jia Zhang Ke effectue un important travail de mémoire, sur le passé et le présent de la Chine, qui se transforme à une vitesse monstrueuse (on pense à L’Orphelin d’Anyang de Wang Chao), en laissant dans l’oubli le peuple chinois qui se renouvelle et se succède anonymement. Cette usine d’état est le symbole d’une Chine austère et contrôlée qui laisse place une modernité aseptisée qui garde cependant les marques de ses prédécesseurs (le dernier « témoignage » de cette jeune fille dont le désir est de gagner un maximum d’argent pour payer un appartement dans 24 City, à ses parents, anciens ouvriers de l’usine 420, ou celui du jeune journaliste qui est parti ne supportant plus le travail à la chaine avilissant). Devenue obsolète et archaïque, cette usine doit disparaitre au profit des jeunes générations et de changements politiques, car symbole d’un autre temps qu’on préfère occulter.
Mais la Chine ne doit pas oublier son histoire et Jia Zhang Ke est là pour nous le rappeler.
“Ce film est composé de récits de fiction autour de 3 femmes et de témoignages de 5 ouvriers qui font part de leurs souvenirs. Mettre en parallèle le documentaire et la fiction était pour moi la meilleure façon d’affronter l’Histoire de la Chine entre 1958 et 2008. Cette histoire est simultanément construite par les faits et par l’imagination.
L’histoire se déroule dans une usine militaire d’Etat qui existe depuis 60 ans. Ce lieu a connu tous les mouvements politiques de la Chine communiste. Je ne cherche pas à rapporter des faits l’histoire mais à comprendre cette expérience socialiste, qui dure depuis près de 100 ans et qui a affecté le destin du peuple chinois. Afin de comprendre ces changements sociaux complexes, il faut écouter avec attention les témoignages des protagonistes.
Les films contemporains s’appuient de plus en plus sur l’action. J’aimerais que ce film retourne au langage. Pour certains, la “narration” doit se traduire en mouvements capturés par la caméra. J’aimerais que les sentiments les plus profonds et les expériences les plus complexes soient exprimés par la narration.
Quelle que soit l’époque, tous les individus et leurs expériences doivent être pris en compte. Il y a 8 ouvriers chinois dans “24 City”, je pense que chacun y trouvera une part de soi-même... “

Jia Zhangke

Le film est tellement délicat et subtil, que, n’ayant pu décrire tous ses aspects et dégager toute sa richesse, je vous conseille vivement d’aller lire les critiques qui suivent, afin d’élargir votre point de vue sur ce film magnifique qui remplit le cœur. Ah et une mention spéciale pour la chanson de Sally Yeh de l’intro de The Killer de John Woo (une des grosses influences du cinéaste dès son 1er film Xiao Wu, artisan pickpocket), reprise dans 24 City, emblématique du glamour mélancolique à la chinoise. Génial de réentendre cette musique ici.
24 City est donc un film intéressant par son approche docu-fiction (une photographie signée par deux chefs-op Yu Likwai et Wang Yu), et me donne envie de découvrir d’autres films du réalisateur Jia Zhang Ke (Xiao Wu, artisan pickpocket/1997, Platform/2000, Still Life/2006), ainsi que plus de films chinois du continent.

http://www.imdb.com/title/tt1103963/
http://www.culturopoing.com/Cinema/Jia+Zhang+Ke+24+City+-1811
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/03/17/24-city-au-coeur-de-la-mutation-d-une-cite%20industrielle_1169146_3476.html
http://enformedepoire.blogspot.com/2009/04/24-city-jia-zhang-ke-la-fin-du-monde-3.html
http://www.lesoir.be/channels/cinema/la-chine-reelle-de-jia-zhang-2009-03-25-697656.shtml
http://www.critikat.com/24-City,2965.html
http://www.telerama.fr/cinema/films/24-city,360542,critique.php
http://cinechanges.blogspot.com/2007/09/de-john-woo-jia-zhang-ke-jia-zhang-ke.html (liens entre John Woo et le cinéaste, voir aussi article dans Positif N°567 de mai 2008, véritable hommage à Chow Yun Fat).

Eddie, le 9 juin 2009.

Le Salon de Musique/Dans la Brume Electrique (20/22 mai 2009)



Le Salon de Musique (Jalsaghar) de Satyajit Ray (Inde/1958/100’’/35mm/N&B/VOSTFR).
J’ai eu la chance de voir ce film dans la petite salle de cinéma (une 100aine de places environ) du ciné-club de l’université Paris 8, dans une très vieille copie bien abimée qui risquait de lâcher à tout moment, alors qu’il faisait chaud et sombre et que le soleil cognait fort dehors. On a quand même fait le pari avec le projectionniste de laisser tourner jusqu’à la fin pour le voir en entier. Tout s’est heureusement bien passé, même si à chaque craquement ou saute d’images, l’état du film (’’niveau 4’’ selon Patrice le projectionniste*) semblait irrémédiablement catastrophique. Mais bon, c’est un véritable plaisir d’admirer avec enchantement, malgré ces conditions, ce classique du cinéma indien, premier film de Satyajit Ray que je regarde (et 4e de sa filmo).
[Piqué au vif par l'arrogance d'un voisin parvenu, un vieux seigneur ruiné sort de sa mélancolie pour s'adonner une dernière fois, par-delà le deuil de sa femme et de son fils, à sa passion de la musique.
Avant de tirer sa révérence, il invite, dans son prestigieux salon, la beauté incarnée et un orchestre talentueux.
-Scénario Satyajit Ray - D’après une histoire de Tarashankar Banerjee
-Musique Ustad Vilayat Khan - Photo Subrata Mitra - Montage Dulal Dutta -Son Durgadas Mitra
- Acteurs Chhabi Biswas, Padma Devi, Pinaki Sengupta, Gangapada Bose, Tulsi Lahiri, Kali Sarkar, Wahed Khan, Roshan Kumari.
]*
http://www.satyajitray.org/
http://www.imdb.com/name/nm0006249/
http://www.imdb.com/title/tt0051792/
http://www.3continents.com/data/document/06-festival-ray.pdf [*]
http://www.objectif-cinema.com/spip.php?article4117
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/rays/salondemusique.htm
*selon Patrice toujours, « niveau 5 correspond à de la pellicule bonne à jeter ».
Un film magnifique et long (certains plans durent le temps d’une chanson que l’on écoute avec eux), avec des
temps (et leur traitement) qu’on oublie beaucoup et qu’il est bon de prendre le temps de retrouver.
Ça change des films de Hong Kong avec 50 plans à la minute. Somptueux et à la fois très austère, à l’image de ce seigneur mélomane pour qui la seule passion est d’écouter de la musique et de d’offrir de merveilleux concerts à ses invités, le noir et blanc est parfait, les scènes finales sont formellement puissantes (le lustre en cristal qui balance, l’ivresse du héros et sa mort), le jeu sur le(s) temps (on pense à Citizen Kane d’Orson Welles, par ces flashback et l’apogée et la déchéance du personnage qu’il dépeint), ce film a surtout une forte attraction par sa musique totalement envoutante et lancinante, à tel point qu’on comprend sa passion pour ces récitals et concerts.
Un très beau film parmi les grands classiques du cinéma mondial, qu’on a eu de la chance de voir en entier.




Dans la Brume Electrique de Bertrand Tavernier (USA-France/2009/117’’/35mm/Vostfr).
[New Iberia, Louisiane. Le détective Dave Robicheaux est sur les traces d’un tueur en série qui s’attaque à de très jeunes femmes. De retour chez lui après une investigation sur la scène d’un nouveau crime infâme, Dave fait la rencontre d' Elrod Sykes. La grande star hollywoodienne est venue en Louisiane tourner un film, produit avec le soutien de la fine fleur du crime local, Baby Feet Balboni. Elrod raconte à Dave qu’il a vu, gisant dans un marais, le corps décomposé d’un homme noir enchaîné. Cette découverte fait rapidement resurgir des souvenirs du passé de Dave. Mais à mesure que Dave se rapproche du meurtrier, le meurtrier se rapproche de la famille de Dave... D'après le roman Dans la brume électrique avec les morts confédérés de James Lee Burke.]*
Ça faisait longtemps que je n’étais pas allé au cinéma, Laurine m’emmène donc voir le dernier film de Bertrand Tavernier, cinéaste et critique français qui connait bien les Etats-Unis (50 ans de cinéma américain aux éditions Omnibus). Dans la Brume électrique est un film tourné aux States, en l’occurrence en Louisiane, avec une équipe à la fois française et américaine, ce qui lui donne une double personnalité. Ce film a donc deux facettes, puisque deux versions, une pour les USA, et l’autre voulue par Tavernier, distribuée dans le reste du monde. Ce fait intéressant est d’ailleurs détaillé dans cet article du monde (1), qui parle des problèmes rencontrés par Tavernier, réalisateur français, lors de son « rêve américain », notamment avec le producteur Michael Fitzgerald.
Le réalisateur sait poser une ambiance lourde et oppressante, à l’image de cette brume du Bayou, parfois onirique (les séquences avec le général), parfois opaque et sombre. Mais pendant 2 heures, jusqu’à la fin, on attend un dénouement, une conclusion, qui au final ne viendra pas. Et j’avoue Tommy Lee Jones, malgré son rôle convaincant et sa carrure d’ancien (vieux bonhomme fatigué de la vie, du racisme et de courir après les criminels, une sorte de héros à l’ancienne avec un fort sens individuel de la justice, idée reléguée par le général ou son fantasme), a quand même carrément moins la classe que son collègue Clint Eastwood (dans Gran Torino). Sinon, une bonne prestation, un bon film (il y a des choses intéressantes dans ce film brumeux, comme la bonne idée de la photo souvenir avec le général, et tous les jeux de brume, de lumière, d’obscurité, de caché et suggéré) qui m’a cependant pas mal déçu et laissé sur ma faim. De plus, c’est toujours énervant de payer 9 euros sans savoir ce qu’on va regarder et d’avoir l’impression de ne pas en avoir eu pour son argent.
Mais enfin, un bon film d’ambiance pour un bon polar dans le sud des Etats-Unis et ses marécages. N’empêche que j’ai en tête sur cette image de Tommy Lee Jones (dans un rôle strictement similaire) dans le plan final de No Country for Old Men des frères Coen. Cette fin interrogative sur cet inspecteur dépassé et fatigué préfigure et annonce l’enquête mystérieuse et inaboutie de Dans La Brume. J’ai quand même préféré 3 Enterrements…
http://www.premiere.fr/film/Dans-La-Brume-Electrique [*]
http://www.lemonde.fr/culture/article/2009/04/11/dans-la-brume-electrique-un-conflit-deux-films-de-tavernier_1179644_3246.html (1)
http://www.surlarouteducinema.com/archive/2009/04/15/dans-la-brume-electrique-de-bertrand-tavernier.html
http://unregardunecritique.blogspot.com/2009/04/cine-dans-la-brume-electrique-de.html
http://www.froggydelight.com/article-6981-Dans_la_brume_electrique
http://www.6neweb.fr/?p=8060
http://publikart.net/dans-la-brume-electrique-de-bertrand-tavernier
http://ladiesroom.fr/2009/05/04/dans-la-brume-electrique-de-bertrand-tavernier/

Eddie, le 22 mai 2009.

Les Saignantes de Jean-Pierre Bekolo (Cameroun-France/2007/93’’//Couleur/VoFr)



Alors là, voila une belle surprise. Depuis une semaine que je vois dans l’Officiel des spectacles le résumé du film Les Saignantes, je n’en ai pas du tout entendu parler et j’en suis vraiment intrigué. Deux choses m’interpellent: film camerounais déjà (le cinéma africain m’est totalement inconnu, mis à part une approche de celui du Maghreb, et peu représenté en France) et l’histoire se passe 2025. Un film d’anticipation africain qui pique ma curiosité. Je me décide à aller le voir jeudi soir, où il passe encore au cinéma l’Entrepôt dans le 14e.
Et dès les premières images, hallucinogènes et épileptiques, je reste scotché et sans voix et me retrouve devant un véritable ovni africain. Une scène d’amour totalement surréaliste entre un vieux allongé sur son lit et une jeune fille magnifique au corps époustouflant (sublime Adèle Ado qui porte le juste nom de Majolie).
Ce corps de déesse semble flotter, et au bout de quelques images (saccadées et jouant sur les vitesses de défilement d’images), on constate qu’elle est suspendue avec un harnais au dessus du lit, et que visiblement elle a l’habitude de faire ça. Waouh, faire l’amour comme ça, ça doit être totalement fou. Et d’ailleurs après cette introduction sexuelle, sensuelle et acrobatique, le vieux bonhomme, qui s’avère être un ponte très important d’une pseudo structure gouvernementale (le Secrétaire Général du Cabinet Civil, le SGCC scandé de nombreuses fois tout au long du film), voit son cœur lâcher et meurt sur le coup, pendant que Majolie prend conscience de son acte dégradant (coucher avec un dignitaire pour obtenir des faveurs), commis comme sous le coup du « mevungu » (rituel important sur lequel on reviendra, car clé essentielle de compréhension culturelle), et surtout du pétrin dans lequel elle se trouve maintenant. Elle se lave d’ailleurs pour se purifier (dans un plan magnifique de simplicité), pendant que son amie Dorylia Calmel/Chouchou (seconde déesse du film, véritable nymphe-amazone au corps affolant) arrive, appelée en urgence. On voit d’ailleurs pendant cette scène la quasi seule et unique référence à un univers futuriste incarné dans un accessoire obsolète et rigolo: un portable Nokiamba tout simple sur lequel elle parle en visiophone avec sa mère et une bande de sorcières mystiques qui disparaissent et apparaissent à leur guise, comme gardiennes de ce fameux « mevungu ».
Ce « mevungu » est un concept important, très spécifique aux cultures africaines, qui articule le récit et provoque conflits ou solutions. La voix-off d’une femme, qui ouvre le film et revient ponctuellement tout au long, cite souvent ce concept et tente de l’expliquer. D’après ce que j’ai compris, le mevungu est un rituel féminin et secret associant la fécondité des femmes et celle de la brousse pratiqué au Cameroun, un rituel purificateur et réparateur des femmes beti qui se protègent en reconnaissant leurs vols ou adultères. Association secrète interdite aux hommes mais tolérée par eux, le mevungu soude la société des femmes autour d'un engagement moral, et dans le film acquiert une forte dimension mystique, voire magique (le réalisateur, un homme non initié à ces rites doit porter un regard profane sur ce concept), qui semble animer ces filles et leurs élans de folie, et les pousser de l’avant, dans une histoire tortueuse et pas toujours compréhensible, qui dresse un portrait peu reluisant de l’Afrique. Car si ces filles vendent leur corps à des dignitaires peu scrupuleux (voir carrément véreux et répugnants), c’est pour obtenir des faveurs et un meilleur statut social. Elles ne sont pas de faibles femmes dans une société masculine et corrompue, mais de véritables lionnes dont la survie est un art de vivre, et un jeu subtil et aérien avec leur propre féminité. Une survie qui rejoint celle de l’avenir du cinéma africain, enjeu et question principale du film. Car Jean-Pierre Bekolo profite de son film d’action et d’anticipation pour nous poser des questions essentielles sur l’Afrique et sur son cinéma. Tout au long du métrage, des cartons viennent ponctuer l’histoire et nous questionnent sans briser notre attention : « Comment faire un film policier dans un pays où il n’y a pas d’enquêtes ? Comment faire un film d’amour quand l’amour n’existe plus ? Comment faire un film d’action quand agir c’est être subversif ? Comment faire un film d’anticipation dans un pays sans avenir ? Comment regarder un film comme ça et ne rien faire après ? », en gros comment faire un film sans moyens ?
On est clairement dans du cinéma de genre, mais ces sentences nous montrent la difficulté d’en produire en Afrique. C’est cette problématique qui est le véritable sujet du film, avec une Afrique post-moderne mais non définie dans le temps, corrompue et gangrenée, sombre et violente. Un film de genre qui nous parle de l’Afrique et de ses problèmes, et de la difficulté d’y propager un tel cinéma, direct, violent et novateur. Je n’ai jamais vu un tel film, convoquant tous les genres cinématographiques et de nombreuses influences (je pense à tellement de choses en le voyant, Bangkok Dangerous ou La Cité de Dieu en plus futuriste, une esthétique très proche du clip, Ram Gopal Varma pour le côté polar urbain, Miike Takashi pour la brutalité presque documentaire des images, les personnages féminins forts de Tarantino, les films de kung fu et le cinéma fantastique de Hong Kong pour la scène de combat « chorégraphiée » et les quelques effets spéciaux très cheap, Executioners Trio pour ces personnages de super-héroïnes, et plein de clins d’œil pour un patchwork très coloré et assez bordélique), et une forte dimension érotique et sexuelle (le début totalement sensuel et hallucinogène, Majolie qui se lave, toutes les scènes entre les deux héroïnes, celle de l’essayage de vêtements, purement gratuite pour montrer leurs corps et leur beauté pendant qu’elles se changent, la vision d’homme-jouets manipulés, comme le jeu de séduction avec le méchant Secrétaire Général).
Ce film fait preuve d’une richesse et d’une inventivité atypique, et d’une véritable connaissance et amour du cinéma de la part du cinéaste.
Les influences sont multiples et les trouvailles formelles particulièrement ingénieuses, malgré le manque évident de moyens techniques. On sent l’aspect vidéo à certains moments (surtout lors des rares effets spéciaux), mais l’utilisation du montage alterné, cut, et très clip, un travail intéressant sur la lumière et l’étalonnage assez osé (le mélange brutal des couleurs fait penser au cinéma hongkongais), les jeux sur les vitesses de l’image (ralentis, accélérés, répétitions), les fondus et surimpressions un peu mystiques, les manières de traiter des situations extrêmes ou au contraire redondantes au cinéma, toutes ces petites choses en font un film vraiment puissant et novateur, malgré les trois bouts de ficelles avec lesquelles il a été produit.
Le cinéma africain, méconnu et totalement laissé à l’abandon, n’est pas mort, comme nous le montre Bekolo avec un film de genre politique, très subtil malgré son caractère rugueux et primaire.
Pour finir, un petit résumé, un article intéressant d’une critique africaine (je vous invite d’ailleurs à consulter sa page web), quelques liens internet, pour plus d’informations que je ne saurais apporter.
Synopsis.
Dans l’Afrique futuriste de 2025, deux jeunes femmes fatales aguerries à des techniques sexuelles acrobatiques de leur époque font des victimes dans la classe politique. Avec un cadavre dans les bras, elles déambulent dans cette société où l’horreur flirte avec la corruption. *

Les Saignantes (2005), de Jean-Pierre Bekolo (Cameroun) ou l’une des surprises du Fespaco 2007. Au ciné Burkina, ce vendredi matin, des spectateurs sont sortis de la salle dès les premières scènes d’amour pas comme les autres. Mais ce film parie sur la beauté des corps, les mystères et les profondeurs de la nuit. On aime ou on n’aime pas. Ce film ne laisse pas indifférent. Il bouscule nos convictions et nous étonne. C’est à partir de là que le spectateur en a pour son compte, heureusement. Car il faut compter avec les ruses de Bekolo qui, depuis Quartier Mozart (1992) et Le complot d’Aristote (1996), sait choisir ses titres et son cinéma. Ici aussi, dans Les Saignantes, la réflexion sur ce qu’est le cinéma aujourd’hui, en Afrique, reste en filigrane derrière ces images tournées de nuit. Comment faire un film d’anticipation, un film d’horreur, un film d’amour, un film policier…en un seul film en racontant la même histoire ? Dans un pays africain, en 2025, la corruption est à son comble et le corps des filles est plus que jamais un capital à faire fructifier auprès des hommes politiques, des plus croulants aux plus ignobles. Quand meurt le premier d’entre eux, d’un âge certain, dans les bras de Majolie, celle-ci appelle à la rescousse Chouchou, son amie. Le cadavre sera découpé par un boucher véreux, la tête remise aux filles. Un autre marché tout aussi macabre avec quelqu’un travaillant à la morgue de l’hôpital public leur permettra de trouver un corps inconnu à coller à la tête saignante. La veillée funèbre sera l’occasion pour les filles de séduire le ministre d’Etat. Pendant ce temps, la police, à la recherche des filles n’y verra que du feu, car il faut ajouter à cette ambiance délirante le pouvoir protecteur des mères organisées en société secrète…Une autre manière de filmer nos angoisses d’aujourd’hui et de demain, dans un continent dominé par les forces de l’ombre.
(source: http://tanellaboni.net/?p=76 qui pose des questions intéressantes sur l’Afrique d’aujourd’hui et son cinéma).
Notons quand même que seulement 3 spectateurs ont assisté à la séance, dont un monsieur qui est parti à la moitié du film. C’est dommage de voir que le cinéma africain reste méconnu, et surtout de montrer un film aussi intéressant à une salle déserte.

http://www.africultures.com/php/index.php?nav=film&no=1062%20(la fiche complète du film)
http://quartiermozart.blogspot.com/ (le blog du réalisateur)
http://www.afrik.com/article16792.html (interview du réalisateur)
http://www.rfi.fr/actufr/articles/113/article_81111.asp
http://www.clapnoir.org/spip.php?article176 (*)
http://fr.allafrica.com/stories/200905200572.html
http://blogs.lexpress.fr/studiocinelive/2009/05/les-saignantes-critique.php (une critique véner de qqun qui semble ne pas avoir capté le film).
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9ma_africain (petite intro aux cinémas africains, qq noms, qq films, festivals, etc)

Eddie, le 11 juin 2009.

Compte-rendu 10e séance (Projection du mardi 9 juin 2009).



Séance « Cinéma dans le Cinéma ».
Après plus d’un mois d’interruption (dernière séance le 5 mai), voici le Retour des Projections Chez Jacki.
J’ai pu entretemps aller au cinéma voir quelques bons films en salle (+quelques achats DVD intéressants), pour garder mon rythme de cinéphile, dont certains d’ailleurs très intéressants et que je vous invite à aller regarder (voir comptes-rendus).
Mais recentrons nous sur nos projections Chez Jacki, pour une soirée de cinéphiles purs et durs (une petite équipe, noyau dur composé Jacki, Mimi, Manu et Eddie). On présente donc ce soir deux films qui parlent de cinéma, chacun à leur manière, pour deux visions très différentes du 7e Art et de sa fabrication.
On commence donc à Hong Kong et son cinéma typique très porté sur l’action et les cascades, avec le film Stuntwoman d’Ann Hui On Wah (1996).
Ann Hui est une cinéaste hongkongaise méconnue en France, et pourtant elle est une auteur importante de la Nouvelle Vague hongkongaise.
La Nouvelle Vague du cinéma de Hong Kong nait au début des années 80, avec des réalisateurs comme Tsui Hark, Stanley Kwan, Ann Hui, Ringo Lam, Kirk Wong, Patrick Tam, Alex Cheung, Eddie Fong, Clara Law, Lawrence Ah Mon, etc.
Il s’agit pour eux de révolutionner et renouveler le cinéma de Hong Kong, et le sortir des carcans des studios Shaw Brothers ou leurs rivaux, et de la politique du cinéma de genre et d’exploitation, tout en s’inscrivant dedans, malgré leur vision d’un cinéma plus porté sur les auteurs. A cette période, à l’initiative de Tsui Hark, nait la société de production Film Workshop, à qui l’on doit notamment l’éclosion et l’expansion du cinéma mythique de John Woo entre autre. L’œuvre d’Ann Hui (qui a cependant participé à de prestigieuses productions de films d’action comme Swordsman en 1990 et Fong Sai Yuk en 1993, et de nombreux films en actrice),
quant à elle, est plus portée sur un cinéma social et d’auteur engagé (très différent des habituelles productions hongkongaises). Après une formation à la télévision, où elle met en place son style, elle réalise depuis 1979 (The Secret, thriller inspiré d’un fait réel et The Spooky Bunch en 1980, film d’opéra chinois et de fantômes) des films (plus d’une vingtaine de longs métrages) qui sont une véritable étude sociale des thèmes de l’identité, de la guerre, de l’émigration, avec une mise en scène à la fois réaliste et épurée, proche du documentaire, mais aussi très sophistiquée. La réalité est un aspect important et essentiel de son cinéma.
Dans Stuntwoman, Ann Hui nous montre tout l’envers du décor et la réalité du cinéma de Hong Kong, et la manière dont il est fabriqué et produit. Problèmes de tournages, et conflits entre les équipes, description précise et détaillée du métier de cascadeur et celui de chorégraphe et son équipe, mise en place des scènes d’action et de cascades, plan-séquence qui livrent une visite guidée parmi les figurants divers sur un plateau de tournage hongkongais, faux-décor pour un film en costumes typique de Hong Kong, description du monde du cinéma et de ses techniciens (très proche de celui des gangsters qui d’ailleurs financent le film sur lequel les héros travaillent et les menacent s’ils ne finissent pas à temps), de leurs beuveries, leurs galères, leur amitié et leur solidarité au sein de l’équipe dirigée d’une main ferme et paternelle par le charismatique Sammo Hung (énorme et trop classe dans ses vestes sans manches ouvertes sur son gros bidon et ses superbes casquettes thaïlandaises). Michelle Yeoh est touchante et gracieuse, mais à cause d’une réelle blessure (lien étroit et ironique entre réalité et fiction) sur le tournage de Stuntwoman lors d’une cascade (celle du saut du pont sur un camion qui roule j’ai cru comprendre), elle occulte très vite tout l’intérêt du film (à savoir les tournages et leur description). Suite à cette blessure et aux complications engendrées, la réalisatrice décide de changer son scénario pour se centrer plus sur le personnage d’Ah Kam, et les relations de l’héroïne avec un playboy chinois pour un mariage raté, et avec le fils de Tung/Sammo Hung, qui meurt de manière impromptue et surprenante, suite à une pirouette scénaristique saugrenue (attaqué par un gangster ridicule et caricatural). Dans la seconde et la dernière partie, le ton du film devient plus alambiqué, par un mélodrame de dernière minute qui ne rehausse pas l’histoire. Celle-ci a bien commencé et a quelques moments forts et sympathiques, mais on sent que la cinéaste perd progressivement le contrôle de son œuvre, à mesure que l’histoire s’enfonce dans l’absurde (la fin sur le bateau pirate dans le parc d’attraction, totalement clichée, montre bien que la frontière entre réalité et fiction est définitivement franchie, avec Michelle Yeoh qui exécute des mouvements totalement surhumains et fantasmés, alors que c’est son métier dans le film de le suggérer. Bizarre mise en abyme). Sinon, mis à part toutes ses faiblesses, ce film est vraiment à voir, et reste intéressant pour ce qu’il nous apprend sur le cinéma de Hong Kong, si souvent mythifié et mystifié.
Je ne connaissais aucun des films de la cinéaste, et Stuntwoman me donne envie de découvrir plus en profondeur l’œuvre d’Ann Hui On Wah, réalisatrice trop peu connue en Occident, mais qui mériterait de l’être. J’ai regardé quelques bandes annonces de ses films (seule matière accessible), notamment celles de Night and Fog (2009) avec Simon Yam qui bat sa femme dans un rôle à contre courant et Jade Goddess of Mercy (2004) une histoire d’amour, et puis Boat People (1982), Story of Woo Viet (1981) et Song of the Exile (1990), films moins récents.
Une œuvre à découvrir.
http://hkmdb.com/db/movies/view.mhtml?id=8210&display_set=eng
http://www.cinemasie.com/fr/fiche/oeuvre/ahkam/
http://www.imdb.com/title/tt0115485/
http://www.variety.com/review/VE1117432515.html?categoryid=31&cs=1&p=0
http://www.bbc.co.uk/films/2001/06/19/the_stunt_woman_1996_review.shtml
http://www.chinesecinemas.org/ahkam.html
http://www.hkcinemagic.com/fr/movie.asp?id=9
http://asia.cinemaland.net/html/actrice/michelle_yeoh.htm
http://www.allmovie.com/work/the-stunt-woman-154697
http://www.sogoodreviews.com/reviews/thestuntwoman.htm
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ann_Hui



C’est intéressant de le programmer et de le mettre en relation avec La Nuit Américaine de François Truffaut (1973), second film proposé ce soir, sur la même thématique du « cinéma dans le cinéma » et du « film dans le film ».
'La Nuit américaine' est un véritable hommage à la technique cinématographique, contenu dans le titre même du film, qui désigne un procédé de tournage d'une scène de nuit en plein jour (illusion du cinéma). C'est aussi le manifeste de la Nouvelle Vague, qui déclare la fin du tournage en studio pour aborder le cinéma avec plus de réalisme et de proximité.
Truffaut nous livre avec ce film une description détaillée et minutieuse d’un tournage, et d’un plateau de cinéma en France (les studios de Nice plus précisément) avant la Nouvelle Vague et sa politique d’auteurs, et l’arrivée de nouvelles technologies qui permettent de faire du cinéma à moindre frais, avec des moyens et des équipes plus légers. Il nous parle d’un monde révolu et dépassé, celui du cinéma de studio, avec une grande nostalgie (cependant ce monde ne me semble pas si lointain, car les rapports humains décrits par Truffaut sur ce tournage de fiction sont si proches de la réalité, même aujourd’hui, des tournages et du cinéma). Tout au long du film, on sent l’amour de Truffaut pour le cinéma. C’est même une véritable mise en abyme de sa propre vie et expérience cinématographique, puisqu’il se met lui-même en scène dans le rôle du réalisateur, qui se pose des questions sur le sens de son métier, ses enjeux et ses contraintes, le problème de la création d’une œuvre, de la collaboration nécessaire avec une équipe (le cinéma ne se fait pas seul), et des rapports entre les différents membres de celle-ci, et comment concilier et fédérer tous ces individus, toutes ces personnalités autour d’un projet de film, véritable aventure humaine.
Connaissant l’univers des plateaux de tournages, on s’identifie totalement au personnages et leurs problèmes, on comprend de quoi parle Truffaut, qui sait parfaitement restituer l’ambiance effervescente de la fabrication d’un film, et ses situations et personnages spécifiques (les acteurs , leurs égos et leurs problèmes, le technicien/régisseur/accessoiriste boute-en-train et râleur, le réalisateur et ses problématiques de créateur, le producteur et son phrasé efficace et parcimonieux à l’image de ses préoccupations économiques de production, et surtout les filles du tournage : maquilleuse, scripte, assistantes, qui heureusement apportent une touche de fraicheur sur le plateau et désamorcent la tension).
Bon mais sinon, Jean Pierre Léaud, qu’est ce qu’il est relou dans le rôle d’Alphonse, acteur imbu, emphatique, surjoué. Pendant tout le film, dès qu’il ouvre la bouche (et même quand il l’ouvre pas), on a trop envie de le baffer. On comprend pourquoi il se fait larguer comme une merde.
Mais c’est vraiment un bon film sur le cinéma, fait par un amoureux obsessionnel de cinéma (ce petit garçon qui vole les photos du film Citizen Kane, et puis toute ces références et citations cinématographiques que je ne saurais relever, on sent toute l’érudition cinéphilique de Truffaut), et qui détaille très justement l’univers et l’ambiance de ce monde particulier. On voit les studios et les décors au début, et un peu le travail des techniciens, mais le film est nettement plus centré sur l’équipe mise en scène et les relations entre les membres de cette équipe au cœur du film. Un film qui donne vraiment envie de faire du cinéma. D’ailleurs, c’était encore plus intéressant de le regarder avec dans la tête la conception de CLAP, projet en cours d’écriture, de série courte sur le cinéma. Ce film est véritablement une référence pour l’écriture de ce projet, même si j’aimerai accentuer plus dans CLAP la dimension technique du cinéma. Une soirée cinéphilique très intéressante, qui m’a permis de me remettre ce projet de scénario en tête.
En attendant la fiche de Jacki, voici quelques liens et photos qui parleront plus que mon maigre avis sur La Nuit Américaine, que j’ai adoré voir. (Ça m’a d’ailleurs donné envie de voir Les 400 Coups et d’autres films de Truffaut) :
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Nuit_am%C3%A9ricaine_(film)
http://french.imdb.com/title/tt0070460/combined
http://www.critikat.com/La-Nuit-americaine.html
http://1001filmsavoir.blogspot.com/2008/10/101-truffaut-la-nuit-amricaine.html
http://films.blog.lemonde.fr/2007/03/23/nuit-americaine/
http://www.film-a-voir.com/2007/06/la-nuit-amricaine.html
http://www.cinemagora.com/film-3341-la-nuit-americaine.html
http://cinema.encyclopedie.films.bifi.fr/index.php?pk=51577
http://www.cine-memento.fr/nuit-americaine-p-1180.html
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/truffaut/nuitamericaine.htm
http://www.cineclubdecaen.com/analyse/livres/cinemaction124cinemaaumiroirducinema.htm
Quelques phrases mythiques aussi :
"Je laisserais un mec pour un film mais jamais un film pour un mec" la scripte, Nathalie Baye trop choubi
"Si on voulait gagner de l’argent, on ferait pas du cinéma" le producteur joué par Jean Champion

Voila pour ce compte rendu. On se retrouve très vite pour de nouvelles aventures cinéphiliques.
La prochaine fois, Manu nous présentera son programme et ses premiers films.
Eddie, le 25 juin 2009.