samedi 16 janvier 2010

Kinatay de Brillante Mendoza (Philippines/2009/105’’/Couleur/35mm/1 :85/Son Dolby SRD/vostfr).



Ce soir à 18h30, je vais voir Kinatay de Brillante Mendoza, qui jouait pour la dernière séance au cinéma l’Ecran. Serbis m’avait intrigué, même s’il ne m’avait pas beaucoup plu. Ces longs plans séquences déambulant dans un cinéma porno délabré sont magnifiques, mais le film m’avait ennuyé et laissé un petit goût de frustration et de manque. Donc je reviens à la charge, en me disant qu’un polar de cet auteur changera ma vision de son cinéma. Et puis je ne connais absolument pas le cinéma philippin. Je vais donc le voir en salle 2 de l’Ecran, devant un public très clairsemé (5 spectateurs seulement). On me prévient à l’accueil que c’est un film dur, sombre et assez violent, et moi je me dis « Bah oui, c’est un polar.. », mais je ne m’attendais pas à ça (j’aurai dû de la part de Mendoza).
Le film s’ouvre sur des images de rue du quotidien (marché, échoppes, travailleurs) prises caméra à l’épaule, c’est coloré, c’est vivant, bordélique, on entre tout de suite dans un univers de polar urbain d’une contrée lointaine et exotique.
L’action est concentrée en une journée et une nuit, jusqu’au lendemain matin.

Résumé:
Peping (Coco Martin), un jeune étudiant en criminologie, est recruté par son ancien camarade de classe, Abyong, pour travailler en tant qu’homme à tout faire au service d’un gang local de Manille. Cette activité lui permet de gagner de l’argent facilement pour faire vivre son enfant et sa jeune fiancée, qu’il a décidé d’épouser. Mais pour cela, il lui faut encore plus d’argent. Abyong propose alors au jeune homme de s’engager dans une « mission spéciale », particulièrement bien rémunérée…



Le film est clairement séparé en deux parties, avec deux manières de tourner différentes (35mm pour la journée et HD pour la partie de nuit). La première partie nous fait découvrir une famille dans les rues de Manille, dont les membres éparses vont converger vers un évènement heureux et important, le mariage d’un jeune couple Peping et sa femme enceinte. C’est le bazar, la grand-mère arrive au dernier moment, il règne un bordel ambiant dans ces rues. On assiste à un mariage groupé (je ne sais comment de couples se marient en même temps devant un prêtre qui psalmodie dans un micro), à une tentative de suicide d’en haut d’une affiche publicitaire suivie de près par une armée de journalistes avides de sensation fortes et les supplications de la mère, sorte de théâtre improvisé et à ciel ouvert. Le maire qui marie nos héros a plein d’humour, mais officie en dilettante sans trop y mettre de forme (on sent le système administratif un peu bancal et bricolé). Dans la salle de classe où Peping étudie la criminologie (le prof explique la procédure à suivre lorsqu’on arrive sur un lieu de crime) en somnolant, personne n’écoute, les étudiants parlent entre eux et se marrent lorsque le prof fait une remarque à l’un d’eux (en l’occurrence balance une craie sur Peping pour le réveiller), on est loin de l’ambiance studieuse et scolaire de ce genre d’endroit.
En gros, la première partie du film est dans la même veine que Serbis, même univers bordélique, chaotique, grouillant, capté caméra à l’épaule, sans cesse dynamique, mouvante, pour suivre cette vie atypique et tous les éléments qui la compose.
Mais il y a aussi des traces, des petits gestes qui vont annoncer la suite. On sent dans cette première partie le manque d’argent. Il faut payer le mariage, et visiblement les études en criminologie, ça rapporte pas des masses. Le parrain de Peping a l’air à l’aise financièrement, et lorsqu’ils s’en vont du restaurant dans lequel ils fêtaient l’heureux évènement, Peping prend discrètement sur la table l’argent de l’addition du repas posé par son parrain, geste presque anodin, mais qui sera lourd de sens par la suite.
Car Peping a besoin d’argent, et voici la seconde partie du film. Pour arrondir ses fins de mois, notre héros futur policier se livre à des petits trafics juteux et clandestins. La scène qui ouvre cette deuxième partie est intelligente et très claire : on suit un type qui fait le tour de vendeurs ambulants qui lui filent chacun une poignée de billets, pour payer le droit de faire de la revente à la sauvette. Le racket a toujours été la première source de revenus du gangster, quelle que soit son origine, et ici on n’échappe pas à la règle. Le type fait donc sa collecte habituelle, en mettant un coup de pression et des claques aux mauvais payeurs, puis, une fois qu’il a finit, vient donner sa recette à Peping qui la refile à un autre truand. Ok, donc Peping fricote avec les truands locaux pour élever un peu son niveau de vie. Une corruption vitale et nécessaire : salaire trop bas, donc combines obligées. Logique.



Puis son pote Abyong lui dit que ce soir, le patron va avoir besoin de lui pour un plus gros coup. Pour Peping, c’est un peu comme un baptême de feu, et il ne se doute à aucun moment de ce qui l’attend (nous non plus d’ailleurs, et comment s’y attendre vu l’absurdité de leur job..).
La bande va chercher Madonna, une prostituée junkie qui connait visiblement nos mauvais garçons, mais qui va s’en prendre plein la tronche (on comprend rapidement qu’elle doit de l’argent, beaucoup, et visiblement, une des méthodes efficaces pour le récupérer c’est de cogner à mort le mauvais payeur), tout d’un coup, sans préavis. Elle-même semble surprise du traitement qu’elle subit en suppliant le boss de ne pas lui faire de mal. Déjà, on sent le malaise absurde pointer, et surtout le doute de Peping qui se demande ce qu’il est venu foutre dans cette histoire moche.
Et c’est parti pour au moins une heure de virée nocturne, dans une camionnette pleine de truands à la mine patibulaire et aux méthodes expéditives, dans une descente aux enfers qui fait progressivement monter l’attente puis l’angoisse de Peping (et la nôtre).
La séquence du trajet en voiture est extrêmement longue (au moins 30 minutes de torture mentale), ponctuée de fausses peurs (« on nous poursuit »), d’animaux écrasés, d’un barrage de police, d’un toxicomane qui les alpague à un feu rouge, d’une pause-pipi rapide sur le bord de la route. C’est long, c’est lent, on ne comprend pas qui ils sont et pourquoi font-ils cela. On pourrait croire que c’est des flics véreux et marrons, ou des truands, quelle importance, et d’ailleurs ça ne sera pas résolu. Ils enlèvent et tabassent la fille dans la voiture, sous les yeux impuissants et affolés de Peping, la tuent par inadvertance (mais en fait elle n’est pas morte, encore pire, comme on le découvrira plus tard). Et puis surtout, on ne voit rien. Beaucoup de flous, de gros plans sur des visages plongés dans le noir, juste éclairés par intermittence par les lumières de la rue, les phares, il fait tout simplement trop sombre, et pendant une bonne partie de cette séquence, on ne verra que du noir ou des visages en silhouette ou sous-exposés. On est dans cette voiture sombre de nuit, et il ne se passe rien, sauf le doute et l’angoisse de Peping, et les conversations anodines des gangsters, alors que l’horreur est en train de pointer son museau désagréable. J’avoue m’être pas mal ennuyé pendant cette partie, malgré mon incompréhension et mes doutes qui me faisaient attendre patiemment la suite, dans l’espoir d’une résolution, d’une explication, même la plus horrible soit-elle. Comme Peping, je suis largué et je subis cette attente un peu angoissante, mais surtout ennuyante.
Mais le pire est à venir. Ils arrivent enfin devant les grilles d’une vieille résidence, dans laquelle ils vont terminer leur joyeuse besogne.
La fille n’est pas morte, mais se fait réveiller à l’aide d’un seau d’eau désagréable, et sa punition pour sa dette n’est pas finie. On explique calmement la situation à Peping, et on envoie les jeunes acheter de la bière pour faire passer le temps, pendant que les truands entreprennent de violer la fille.
Peping est horrifié, et semble vouloir réagir, ou tout du moins s’enfuir pour échapper et oublier tout ça. Il veut se barrer d’ici, mais hésite, a peur et finalement ne peut rien faire. Il reste là, voyeur lâche, terrifié et impuissant, sans réaction physique (par contre ses yeux en disent longs sur l’horreur et la folie dont il est témoin). Il suit les ordres, regarde le viol, puis la boucherie sans bouger (même lorsqu’on lui crie de ramener des sacs poubelles). Car les truands ont la judicieuse idée de découper la fille en morceaux qu’ils iront éparpiller aux quatre coins de la ville. Je ne comprends pas l’utilité d’un tel acte, ni même s’ils ont récupéré leur argent, mais ça a l’air de leur faire bien plaisir, ou tout simplement d’être un boulot comme un autre. En tout cas, je ne comprends pas absolument l’idée de découper quelqu’un qui doit de l’argent, je ne vois pas comment sa mort pourrait rembourser quoi que ce soit. Est-ce une habitude à Manille (ça a visiblement l’air de venir d’un fait-divers récent, des morceaux de cadavres humains retrouvés dans des poubelles, « une autre tête coupée » nous apprend t’on à la fin..) ?



Toute la violence est seulement montrée à travers le regard du héros horrifié et impuissant, relégué au simple rang de spectateur/voyeur, ce qui accentue notre frustration.
Tout ça pour dire que c’est super horrible, mais traité comme un fait divers anodin, qui semble être la routine pour les truands (qui discutent tranquillement ou boivent des bières pendant ce temps). Le problème, c’est que ce traitement brut, sa « mise en scène en temps réel » n’a pas réussi à me transporter au cœur de l’action (quasi-inexistante) ni des émotions du héros apathique et passif. On se contente juste de subir l’horreur, et surtout l’incompréhension tout au long de cette séquence trop chiante, dans laquelle on ne voit rien (et visiblement, ça fait peur et monter l’angoisse). Filmer du noir, des visages sous-exposés ou un long trajet sur la route, me semble plus ennuyeux qu’angoissant. Le doute et l’angoisse sont vite remplacés par l’ennui et l’attente de quelquechose qui ne viendra jamais. Et on s’attend quand même à voir réagir Peping face à tant d’horreur (la scène où il seul face à la fille attaché sur le lit, ou celle où il est témoin d’un viol humiliant), mais en fait non. La seule réaction humaine qu’il aura, c’est quand il vomit arrivé au restaurant le lendemain matin, après sa nuit d’horreur. Enfin, quelquechose de normal, mais très vite, il nettoie son alliance de mariage, et revient devant son assiette (« C’est froid » lui dit-on, « C’est pas grave, j’ai pas faim », tu m’étonne qu’il a pas faim. Comment manger après ça ?). Puis il demande à partir, et revient enfin à sa vie normale, comme si de rien n’était, ou plutôt pour faire comme si de rien n’était, pour oublier l’horreur insensée de la nuit dans le bordel de la journée (le dernier plan du film nous montre la femme et le bébé de Peping comme pour rappeler à notre souvenir la famille, si importante après cette nuit absurde). Notons une chose marrante cependant : il a gardé le polo de son école de police pendant toute la virée nocturne rendant sa place encore plus décalée et inutile.
Et puis cette phrase sentencieuse de Mendoza quand on file la tête de la fille emballée dans un sac à Peping : « Une fois l’intégrité perdue, elle est perdue à jamais ». Mais de quelle intégrité peut-on parler quand on a été témoin de ça sans réagir ? Est-ce un niveau de vie trop bas, une famille à nourrir, qui font qu’il n’a pas réagit, et le transforment en témoin complice d’un acte insoutenable ?
Je ne comprends pas de quoi veut nous parler Mendoza, à part d’une société tellement corrompue, que les individus lambdas y acceptent de faire l’inacceptable. Je ne comprends pas non plus la violence absurde et froide des gangsters, ni les raisons de leur crime (quel intérêt de faire ça à une personne endettée ?). Je n’ai pas réussi à plonger dans cette descente aux enfers, ni à m’identifier ou m’attacher à cet anti-héros, dont la seule utilité narrative est de servir de témoin à la fois impuissant et complice par sa passivité, à cette boucherie (Kinatay en philippin semble vouloir dire massacre). Je n’ai pas réussi à adhérer à l’histoire que voulait nous raconter Mendoza, et encore moins à sa manière de la raconter (pourquoi autant d’attente soi-disant angoissante dans cette voiture sombre et dans laquelle on ne voit rien ?).
Presque deux heures d’angoisse et de doute qui se transforment bien vite en ennui, et comme Peping, j’ai hésité à m’en aller, mais comme lui, je voulais voir jusqu’à la fin où voulait en venir le cinéaste. Et j’avoue, que comme Serbis qui m’a laissé sceptique, Kinatay me laisse le goût amer du spectateur qui a presque l’impression d’avoir perdu son temps. Mais on n’a pas le droit de dire que regarder un film fait perdre du temps, même lorsqu’on n’a pas aimé, et on en apprend toujours, même avec les mauvais films (ou en tout cas ceux qui ne nous plaisent pas).
Avec Kinatay, j’ai appris que j’avais un peu de mal avec Brillante Mendoza et que ces films et ce qu’il veut y dire me sont restés hermétiques.
Par contre, on sent effectivement qu’il y a un malaise dans cette société, malaise particulièrement bien traduit dans ces deux films.
Mais bon, je n’ai pas réussi à trouver ces films intéressants, et je vais quand même essayer de voir d’autres films de ce réalisateur (John John, ou encore Tirador de 2007) pour en savoir plus et ne pas rester sur ce sentiment.
Kinatay est vraiment un film bizarre qui met certes mal à l’aise, mais dont l’engouement provoqué me laisse perplexe. Mais après tout, qui suis-je pour me demander si son Prix de la mise en scène à Cannes est mérité?
J’attends vos retours et vos commentaires si vous l’avez vu, afin de confronter les points de vue.




http://www.kinatay-lefilm.com/
http://www.imdb.com/title/tt1423592/
http://www.cinezik.org/critiques/affcritiquefilm.php?titre=kinatay
http://www.indiewire.com/film/kinatay/
http://www.evene.fr/cinema/films/kinatay-25624.php
http://www.mad-movies.com/forums/index.php?showtopic=27362
http://www.telerama.fr/cinema/films/kinatay,391329,critique.php
http://www.excessif.com/cinema/critique-kinatay-4708900-760.html
http://www.paperblog.fr/2546645/kinatay-de-brillante-mendoza-sombre/
http://irreductibles.blogspot.com/2009/11/kinatay-de-brillante-mendoza.html
http://100pour100cinema.over-blog.com/article-kinatay-realise-par-brillante-mendoza-40475998.html
http://cinema.fluctuat.net/films/kinatay/8069-chronique-Quand-Manille-dort.html
http://cinema.fluctuat.net/blog/38049-quentin-tarantino-a-adore-kinatay-de-brillante-mendoza.html
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/kinatay-de-brillante-mendoza_759051.html
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/film-en-salle/kinatay-brillante-mendoza-frappe-encore-juste_828993.html
http://www.telerama.fr/cinema/seance-tenante-5-vengeance-de-johnnie-to-et-kinatay-de-brillante-mendoza,42828.php
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/11/17/kinatay-depecage-d-une-effeuilleuse-a-manille_1268293_3476.html
http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2009/05/18/kinatay-brillante-mendoza-plonge-avec-brio-dans-un-cauchemar-sanguinolent_1194442_766360.html

Eddie, le 16 janvier 2010.

Tueur à Gages (Killer) de Darezhan Omirbayev (Kazakhstan-France/1998/80’’/35mm/Couleur/Vostfr).



Réveillé trop tard pour L’Armée des Ombres de Melville au MK2 Quai de Seine, que j’essaie de voir depuis un moment, j’y vais quand même pour un autre film du cycle « Melville et les héritiers du film noir », Tueur à Gages de Darejan Ormibaev, un film kazakh au titre accrocheur, à 11h25.
Une poignée de personnes dans la salle 4 (même pas une dizaine), le film commence direct sans aucune pub.
Un début contemplatif, quasi muet, plein de vide et manque. Un scientifique invité à une émission de radio, un jeune homme qui attend dans un hall. Un bâtiment labyrinthique aux couloirs anonymes et déserts dans lequel se perd le scientifique pour en sortir (magnifique série de plans d’errance silencieuse et solitaire du pauvre vieux qui cherche la sortie). Le jeune homme qui l’attend, c’est son chauffeur, et quand le scientifique réussit enfin à sortir de ce dédale de couloirs vides, ils partent en voiture. En une séquence avare en dialogues, on comprend qu’il y a un malaise dans ce pays, et à plein de niveau. Le scientifique semble galérer pour trouver des subventions pour ses recherches, et le jeune héros s’accroche à son boulot de chauffeur pour ne pas avoir à survivre de combines. Bienvenue au Kazakhstan, avec une présentation du pays beaucoup moins drôle que dans Borat.

Résumé :
A Almaty, capitale du Kazakhstan, Marat (Talgat Assetov) est un jeune chauffeur qui travaille pour un scientifique qu’il conduit. Un jour, en ramenant de l’hôpital sa femme et leur bébé qui vient de naitre, dans un moment d’inattention, Marat percute la voiture de devant, une Mercedes appartenant à un parrain quelconque, nouveau riche local important et influent. Le propriétaire lui demande de payer les réparations, Marat n’a bien sûr pas les moyens. On lui envoie des hommes de main lui casser la figure chez lui, et Marat est obligé de prendre un crédit à un fort taux d’intérêt afin de rembourser les réparations. Mais lorsque le scientifique se suicide car il ne peut faire aboutir ses recherches par manque de subventions, privant Marat de sa seule source de revenus, et que sa dette augmente jusqu’à devenir exorbitante, on lui propose de tuer quelqu’un, combine illégale que Marat a toujours refusé. Cette fois-ci, il ne peut se défiler et accepte avec contrecœur. Sa cible est un journaliste gênant qui dénonce la corruption ambiante et risque de compromettre le parrain influent.

Le titre ne prend son sens que vers la fin, quand le héros face à l’adversité et à son destin, devient malgré lui, un tueur à gages. Rien de bien glorieux donc, ce n’est pas un film allégorique de ce métier si romantisé au cinéma. Le cinéaste fait plutôt un constat amer et très pessimiste de la situation dans son pays en pleine chute libre suite à la fin du système soviétique de l’URSS.
Ici, pas de fioritures ni d’effets de style tapes à l’œil et racoleur digne du genre polar, bien au contraire, une mise en scène épurée suit l’errance d’un héros devenu fantôme, qui s’efface peu à peu et disparait de l’écran (sa mort restera d’ailleurs hors-champ, pudique et anecdotique, tout comme les confrontations physiques, souvent montrées après l’action), d’ailleurs ce personnage est loin d’incarner l’archétype du tueur à gage de ce genre de film, c’est plutôt un homme simple comme tout le monde qui bascule dans un univers clos et chaotique, où tout est à prendre et à reconstruire, traité d’ailleurs de manière très naturaliste et sans fioritures de mise en scène, assez proche d’un style documentaire qui se contente de montrer, sans intervenir dans l’histoire. Le cinéaste suit ce personnage, héros apathique et passif dans son errance, ses erreurs, la fatalité de son destin, témoin silencieux de son parcours tragique. Malgré son honnêteté et son intégrité, il semble totalement prisonnier de son environnement, qu’il subit tout au long du film (mais qu’il ne semble pas accepter, critiquant le trafic illégal, moyen de survivre dans ce pays, et le chaos engendré par ce phénomène), jusqu’à en perdre sa substance, son humanité, son existence. Il n’est pas grand-chose dans cette société, et malgré son désir d’échapper à cette condition, il restera prisonnier de celle-ci.
Les plans où il se trouve sur un toit, devant toute l’étendue de la ville, sont magnifiques, et soulignent cette solitude et cet effacement (songe-t’il au suicide, solution qui mettrait fin à tous ses problèmes ?).
Killer est le troisième long métrage de Darejan Ormibaev, après Kaïrat et Kardiogramma (trois films en K).
Une vision très pessimiste du Kazakhstan, après le passage au capitalisme et toutes ses dérives engendrées (marché noir, corruption, mafia), Tueur à Gages dresse un portrait peu engageant de son pays, et laisse un goût amer après sa vision, d’impuissance et de frustration. Un film à la mise en scène effacée, simple et honnête, tout comme son héros.
A noter que ce film a reçu 2 prix (Un Certain regard à Cannes et le Don Quichote Award au Karlovy Vary International Film Festival en République Tchèque et une nomination pour le Crystal Globe au même festival).



http://french.imdb.com/title/tt0157124/
http://zata.free.fr/chronique.php?id=209
http://www.theauteurs.com/films/1251
http://www.objectif-cinema.com/interviews/013.php
http://www.objectif-cinema.com/analyses/082.php
http://www.chronicart.com/cinema/chronique.php?id=565
http://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=62380.html
http://www.kinokultura.com/CA/reviews/killer.html
http://www.filmref.com/directors/dirpages/omirbaev.html
http://www.fichesducinema.com/spip/article.php3?id_article=1398
http://shangols.canalblog.com/archives/omirbayev_darezhan_/index.html
http://www.festival-automne.com/public/ressourc/publicat/1998cine/lalann09.htm
http://cinema.fluctuat.net/films/tueur-a-gages/1243-chronique-pas-drole-de-rouler-en-lada.html
Eddie, le 3 juillet 2009.

Le Petit Fugitif (Little Fugitive) de Morris Engel, Ray Ashley et Ruth Orkin (USA/1953/80’’/35mm/N&B/VF)



Séance du matin (11h30) pour aller voir Le Petit Fugitif (depuis le temps que je voulais le voir) en salle 2 du Reflet Medicis devant une vingtaine de spectateurs. Je remarque que l’écran de cette salle est bien haut, et que le bruit de la climatisation vient perturber le film et son travail sonore. Et puis surtout, il est projeté en version française, ce qui n’était pas indiqué dans le programme (ni même affiché dans le cinéma). Un homme sort direct de la salle dès les premières phrases en français, et quelques personnes le mentionnent à la jolie caissière à la fin du film, qui nous répond gentiment que c’est une séance destinée aux enfants (programmée dans Enfance de l’Art), donc rien de plus normal qu’il soit en VF. Entièrement d’accord, mais dans ce cas là, autant l’indiquer pour ne pas rameuter des spectateurs avertis et puristes des versions originales. Enfin bon, passons, car malgré ce petit souci de langue, la vision de ce film reste plaisante, pleine de recherches formelles et de spontanéité. Le Petit Fugitif est un film novateur qui influença fortement la Nouvelle Vague et plus généralement un cinéma au style plus libre et plus direct, ancré dans la réalité. Truffaut le cite en disant « que sans ce film, il n’y aurait pas eu de Nouvelle Vague ».

Résumé :
À Brooklyn dans les années cinquante, la mère de Lennie (Richard Brewster) lui confie la garde de son petit frère Joey (Richie Andrusco), âgé de sept ans, car elle doit se rendre au chevet de la grand-mère malade. Lennie avait prévu de passer le week-end avec ses amis à Coney Island. Irrité de devoir emmener son petit frère partout avec lui, il décide de lui jouer un tour en simulant un accident de carabine sur un terrain vague. Persuadé d’avoir causé la mort de son frère, Joey s’enfuit à Coney Island, immense plage new-yorkaise dédiée aux manèges et à l’amusement. Il va passer une journée et une nuit d’errance au milieu de la foule et des attractions foraines…

Ce film est vraiment génial, de par sa simplicité et sa spontanéité, et tout particulièrement celle de l’acteur principal âgé de ans à l’époque, Richie Andrusco, totalement cinégénique, et plein de fraicheur, de curiosité, de naïveté et d’innocence, au regard cependant perçant et conscient du monde qu’il l’entoure, comme un petit homme. Dès les premières images, on est immédiatement happé par ce petit gars haut comme trois pommes, et on suit, avec la même curiosité qui le pousse pendant tout le film. Après la mauvaise blague de son grand frère, le reste du métrage se déroule quasiment entièrement dans le parc d’attraction de Coney Island, propice aux expérimentations visuelles et cinématographiques. Bourré de recherches formelles, Le Petit Fugitif est techniquement riche et plein de trouvailles, en rapport total avec le héros et ses découvertes, ses expériences, sa manière de voir et d’appréhender le monde (la caméra est souvent à hauteur de ses yeux, à son niveau). Toute son exploration dans le luna park est détaillée et appréhendée avec sa vision d’enfant, ce qui se traduit cinématographiquement par une approche très expérimentale, de caméras très souvent mouvant et dynamique, des axes et des mouvements audacieux, des fondus et un montage très expressifs, tout un panel de plans détaillant les moindres recoins, angles, décors du parc d’attraction (caméra embarquée dans les manèges, détails des attractions du parc, etc). La petite musique à l’harmonica (musique d’Eddie Manson) et les images brutes proches du documentaire expérimental et le noir et blanc magnifique (photographie de Morris Engel) servent cette poésie cinématographique.
Le jeune acteur Richie Andrusco est juste génial, cinégénique et capte entièrement notre attention dès les premières images du film. On suit son errance tout au long, on le voit se débrouiller comme un petit homme débrouillard (il ramasse les bouteilles vides sur la plage pour gagner quelques sous), c’est véritablement le héros du film, tel un mini cow-boy (la manière dont il se tient, sa démarche, sa passion pour les chevaux). A noter particulièrement, les scènes où il mange une pastèque, fait du baseball avec une batte beaucoup trop grande et trop lourde pour sa petite taille, et quand il fait enfin du poney.
Le Petit Fugitif est effectivement un grand film moderne et novateur plein de candeur et de naïveté, toujours actuel et d’un grand intérêt de nos jours, que je ne peux que vous conseiller de voir.


http://www.imdb.com/title/tt0046004/
http://www.carlottafilms.com/le-petit-fugitif/film/446
http://www.orkinphoto.com/films.php
http://www.critikat.com/Le-Petit-Fugitif.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Fugitif_%28film,_1953%29
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/engel/petitfugitif.htm
http://www.dvdrama.com/news-31255-cine-le-petit-fugitif.php
http://www.festival-tete-de-mule.fr/spip.php?article224
http://www.evene.fr/cinema/films/le-petit-fugitif-22601.php
http://lbenyell.blog.lemonde.fr/2009/03/09/le-petit-fugitif/
http://www.scienceshumaines.com/le-petit-fugitif_fr_23352.html
http://www.allocine.fr//film/fichefilm_gen_cfilm=140217.html?nopub=1
http://www.liberation.fr/cinema/0101318582-le-petit-fugitif-enfin-rattrape
http://www.notrecinema.com/communaute/v1_detail_film.php3?lefilm=22550

Eddie, le 13 sept. 2009.

La Femme des Sables (Suna no onna) d’Hiroshi Teshigahara (Japon/1964/153’’/35mm/N&B/1:37/vostfr).



Je ne vais pas souvent au ciné-club de la fac de Paris 8 (un film chaque mercredi midi), et ayant participé à la conception du programme de cette année (sur le thème du désert. Décidément, après 2 films de Sergio Leone..), il y avait un film que je souhaitais voir depuis l’année dernière, proposé par un collègue de classe : La Femme des Sables d’Hiroshi Teshigahara, dans une copie distribuée par Carlotta Films (je retrouve sans cesse cette société, incontournable dans la préservation et la diffusion d’une grande partie du patrimoine cinématographique mondial). C’est l’occasion d’y retourner après une longue absence. Et je suis étonné du nombre relativement conséquent de spectateurs, dont une grande majorité d’étudiants (en cinéma). Un petit souci en début de séance, visiblement un problème de format de projection, rapidement réglé.
Second long métrage de Teshigahara, La femme des Sables a obtenu le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes 1964, nominé aux Oscars du Meilleur réalisateur et Film Etranger (1965 et 1966), entres autres prix et nominations (Blue Ribbon Award 1965, Kinema Junpo Award 1965 et plusieurs prix raflés au Mainichi Film Concours 1965), et a permis de faire connaitre le cinéaste en Occident.
Depuis 1953, il a réalisé 5 courts métrages avant son premier long (Otoshiana/Le Traquenard 1962). Pour lui les images sont plus importantes que les mots, les corps et les paysages sont considérés comme des objets, lui permettant de peindre la réalité japonaise de manière presque expérimentale. Ici, le sable, élément-personnage omniprésent, représente la société japonaise de manière négative, par son aspect bloquant, gênant, nocif, qui s’immisce partout et entrave l’être humain. Le scénario est adapté d’un roman de Kobo Abe, avec qui le cinéaste va collaborer plusieurs fois, adaptant fidèlement l’univers de l’écrivain, proche de celui de Kafka.
[La Femme des Sables est tissé de symbolisme, et Teshigahara , dans une véritable osmose avec l’écrivain, retranscrit de façon picturale les angoisses existentielles décrites par l’auteur. Par l’utilisation de décors et d’images allégoriques, en structurant son film par des échos et des jeux de miroir, Teshigahara nous immerge dans l’itinéraire mental qui est au cœur du film. La Femme des Sables est un film d’une richesse quasiment inépuisable, à la fois limpide dans son déroulement et vertigineuse réflexion sur l’homme et sa place dans l’univers.*]



Résumé :
Un instituteur féru d’entomologie (Eiji Okada) marchant dans le désert, décide de faire une halte pour se reposer. Des villageois lui proposent de passer la nuit dans leur village. Il est accueilli par une femme (Kyôko Kishida) qui lui offre le gîte et le couvert dans sa maison au fond d’un trou. Pendant la nuit, la femme se lève et ramasse le sable qui s’écoule des parois de sa maison. Au petit matin, l’homme réalise qu’il a été fait prisonnier, et après plusieurs tentatives de fuites, il se résigne et trouve par hasard de l’eau, découverte qui donne un sens à son existence.
Le film s’ouvre sur des images déroutantes et inquiétantes, des estampes de dunes et leurs striures qui occupent tout l’écran (un œil bizarre apparait au centre), et qui se transforment en empreintes digitales de procès-verbal (l’administration envahissante et inhumaine reviendra ponctuellement dans le film, à travers une liste exhaustive de « formulaires, d’autorisations, de passe-droits, permis de conduire, de papiers d’identité, d’extraits de naissance, (...) et j’en oublie » que décrit la voix-off du héros, puis à la fin du film, lors du procès verbal mentionnant sa disparition depuis 7 ans). On passe du micro au macroscopique, et comme un grain de sable dans le désert, l’homme n’est qu’un point, un numéro, perdu parmi cette paperasse qui quadrille sa vie (il semble paumé dans le désert dès les premières images filmé en plan très large). Notre héros semble vouloir échapper à cette condition oppressante, mais il trouvera bien pire encore (ou pas). C’est un entomologiste qui cherche des insectes, on dirait bien qu’il finira comme eux.
Cette cabane qu’il remarque au début, au fond d’un grand trou dans le sable, est très symbolique de son futur enfermement et oppression sociale (car il ne se doute pas tout de suite de ce qu’il l’attend, et met du temps à comprendre qu’il est coincé, malgré toute l’atmosphère pesante et très étrange qui règne dans cette cabane dès qu’il y met les pieds). L’ambiance est bizarre, la femme lui dit des choses incohérentes mais étrangement pessimistes sur le sable (« Il y en a partout, il assèche tout, la maison tombe en ruine à cause de lui, etc.. »), le couvre d’un parasol « pour le protéger du sable » (et effectivement, quand il a finit de manger durant un long plan fixe, il s’aperçoit en se levant et en cognant le parasol qu’il est couvert de grains de sable), et s’attèle pendant une grande partie de la nuit à remplir des seaux de sables pour vider son trou, à l’aide des villageois (qui font d’inquiétantes allusions) qui remontent en haut les tas de sable. Le héros est étonné et perplexe face à cette activité peu commune mais ne se doute de rien et reste insouciant, alors que le spectateur se sent déjà fortement oppressé. « Je vous aide » lui dit-il « Non, pas le premier soir » lui répond elle. Il rit en disant qu’il ne reste qu’une seule nuit, elle reste silencieuse… Le lendemain, l’échelle par laquelle il est descendu la veille n’est plus là, et impossible de remonter de ce maudit trou.
Et le film suit sa descente dans les profondeurs de la folie, car il n’accepte pas cet emprisonnement, puis sa résignation et son renoncement.



Ce sentiment d’enfermement est accentué tout au long du film par ce sable omniprésent et extrêmement dérangeant. Il semble tout ronger, tout recouvrir (les plans magnifiques sur le corps de la femme le matin lorsqu’il est couvert de sable, les gros plans détaillant un cou, une aisselle, un torse sur lesquels trainent quelques grains de sables mêlés à la sueur), s’immiscer partout, coller à la peau. Tout est envahi par le sable, et son image est décliné à l’infini (gros plans microscopiques, striures, avalanches de sables, et la manière qu’il a de se désagréger quand l’homme essaie de l’escalader, poussière de sable quand un élément est déplacé ou cogné, grains collés à la peau, et même sables mouvants, en font une prison naturelle totalement contraignante). En plus, il a l’air de faire extrêmement chaud (magnifique lumière du chef opérateur Hiroshi Segawa, tout en contraste entre une surexposition aveuglante et des noirs profonds et ciselés), et cette chaleur est embarrassante, pesante, moite et fatigante. La femme est devient lascive, l’homme épuisé, on est aveuglé par cette lumière intensément blanche. L’image arrive parfaitement à retranscrire cette atmosphère moite, aveuglante, et presque onirique (mais c’est ici véritablement un cauchemar qui se joue sous nos yeux). Des images étranges et inquiétantes viennent ponctuellement souligner cette univers clos et oppressant (surimpression du trou, fondus entre les courbes de la femme et les dunes de sable, images d’insectes coincés dans la lampe à huile, gros plans de visages grimaçants, notamment dans la scène trop bizarre où tous les paysans curieux et voyeurs viennent demander au couple de copuler sous leurs yeux en échange d’un peu de liberté). Et la musique grinçante et presque désagréable vient souligner cette atmosphère anormale et surréaliste, lourde et oppressante.
Ce film est une véritable fable philosophique et cinématographique qui parle de la condition de l’homme et de son inexorable emprisonnement de la société (japonaise). « Vis tu pour enlever le sable ? » demande furieusement l’homme à sa compagne forcée, pour souligner l’absurdité de leur condition, proche d’une certaine forme d’esclavage (le sable enlevé sert visiblement à alimenter une entreprise de construction pour la fabrication de son béton, alors que c’est illégal). Il finira par s’habituer et se résigner à sa condition lorsqu’il découvrira un phénomène qui donnera sens à sa vie (pas plus absurde finalement que de rechercher et découvrir un insecte inconnu), le sable qui peut retenir l’eau par condensation et créer des puits (car l’eau était une condition essentielle à leur survie, alors qu’elle servait à les opprimer, par manque, vu qu’elle est distribué par le « syndicat » du village en échange de travail). Il n’y a aucun échappatoire, mais la vie doit continuer, et elle continuera à n’importe quel prix (leur enfant va d’ailleurs naître à la fin). Il faut continuer à vivre, même si cela nous semble absurde et insensé. On peut voir ce film comme une métaphore du mariage, ou encore comme un symbole de l’oppression latente omniprésente (comme le sable) dans la société japonaise, hiérarchisée et ritualisée, à travers cette histoire de repeuplement forcé d’un village désert. Le thème et le motif du désert sont abordés de manière intéressante, fortement symbolique et graphique, et en font un film à l’atmosphère étrange et inquiétante.



http://www.imdb.com/title/tt0058625/
http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Femme_des_sables
http://www.critikat.com/La-Femme-des-sables.html
http://www.objectif-cinema.com/spip.php?article4581
http://archive.filmdeculte.com/film/film.php?id=1790
http://cinema.fluctuat.net/hiroshi-teshigahara.html
http://www.generique-cinema.net/analyses/femme.html
http://www.dvdclassik.com/Critiques/dvd_femme_des_sables.htm
http://www.paperblog.fr/907315/la-femme-de-sables-de-teshigahara/
http://www.cineclubdecaen.com/analyse/dvd/hiroshiteshigaharafemmedessables.htm
http://www.cinetudes.com/LA-FEMME-DES-SABLES-Suna-no-onna-1-de-Hiroshi-Teshigahara-1964_a43.html [*]
http://www.cinetudes.com/LA-FEMME-DES-SABLES-Suna-no-Onna-2e-1964_a79.html
http://www.liberation.fr/culture/010199436-la-nouvelle-femme-des-sables
http://culturopoing.com/Cinema/Hiroshi+Teshigahara+La+femme+des+sables+-340
http://arkepix.com/kinok/CRITIQUES/TESHIGAHARA/critique_femmedessables.html

Eddie, le 9 déc. 2009.