dimanche 10 janvier 2010

Los Bastardos de Amat Escalante (Mexique/2009/90’’/35mm/2 :35/couleur/Vostfr).

Les séances du matin sont moins chères au MK2 (entre 5 et 6€, prix qui devrait être normal mais bon), et en ce beau dimanche ensoleillé, je vais enfin voir Los Bastardos, qui heureusement joue encore. La caissière me dit en me vendant mon billet que le film l’a bouleversé. Je suis prévenu, et je m’installe dans une salle vide (qui se remplira petit à petit de seulement 8 personnes). Et le film commence direct sans aucune pub (vive les petits films non commerciaux destinés à d’autres que des consommateurs).
Résumé :
A Los Angeles, comme chaque matin, Fausto et Jesus, deux travailleurs mexicains clandestins, attendent au coin d'un terminal de bus dans l'espoir d'être embauchés. Les tâches sont ingrates et très mal payées, mais la nécessité de gagner un peu d'argent leur met une pression intense. Aujourd'hui, ils ont trouvé un travail beaucoup mieux payé. Aujourd'hui, leur outil de travail est un fusil à canon scié.



Un pitch accrocheur qui met l’eau à la bouche, dont le sujet de l’émigration totalement d’actualité, est traité de manière directe et brutale, sans aucune concession ni compromis. Los Bastardos s’ouvre sur un très long plan séquence dans lequel les 2 protagonistes arrivent vers nous en marchant lentement, de tout au fond du cadre, comme des points minuscules. L’un d’eux frappe dans un ballon en avançant dans une sorte de canal sans eau le long de quartier résidentiel et entre deux échangeurs de voies rapides. On sent toute leur solitude et la vacuité de leur existence dans ce long plan magnifique et silencieux, jusqu’à ce qu’ils arrivent au niveau de la caméra qui panote pour les suivre et les voir monter une pente et disparaitre. Carton rouge écarlate, puis blanc, et le titre arrive comme un coup de matraque LOS BASTARDOS en blanc sur fond rouge (on retrouvera ce schéma de couleur en cartons, rouge, vert, blanc, à la fin pendant le générique).



Une mise en scène très épurée, qui nous raconte une terrible histoire en quelques séquences contemplatives et remplies de silence et de frustration. Le silence des deux héros tragiques et leur frustration commune avec les émigrés mexicains, le silence du fils en conflit avec sa mère, frustrée de ne pouvoir communiquer avec lui, le silence dans le rapport entre nos deux braqueurs mexicains et la mère victime (d’ailleurs leur relation est très compliquée, entre séduction malsaine et répulsion viscérale et physique entre deux mondes incompris l’un de l’autre-la scène dans la piscine est pleine de tension). Aucune complaisance dans la vision de ces personnages qui s’enfoncent dans le mutisme et le silence de leur rapport avec les autres et avec eux-mêmes, ni dans le traitement de la violence, qui arrive d’un coup, brutale, sèche, sale, tel ce coup de fusil à canon scié (qui aurait pu être l’objet qui symbolise leur sésame, leur porte de sortie, mais ce n’est absolument pas le cas), tiré par erreur, par peur, trop vite pour y réfléchir et mesurer le poids de cet acte. Le second coup de feu est aussi brutalement surprenant et violent, tiré hors-champ, donc seul l’impact sur Fausto est filmé, impact qui nous percute entièrement. Alors qu’on attend (comme les deux héros) pendant tout le film, la violence arrive soudainement, comme un violent coup de massue qui réveille, qui nous sort de ce malaise latent, pour devenir encore plus gênant.



Au niveau de la narration et de la compréhension, on n’apprend que plus tard quel est leur objectif. A aucun moment, il n’est dit qu’ils viennent tuer cette femme, on ne sait pas qui les a payé, comment ils ont trouvé la maison de leur cible. Ils rentrent chez elle par effraction, et on met du temps à comprendre ce qu’ils veulent. Ils ont faim, ils lui demandent à manger, puis attendent avec elle, regarde la télé, vont se baigner dans la piscine (scène très bizarre) avec elle, bref, on se dit qu’ils ont trouvé une bonne planque pour la soirée et qu’ils attendent que ça se passe. Ils n’ont pas l’air d’être là pour une raison précise, et d’ailleurs l’exécution de la femme se fait involontairement, trop soudainement pour revenir en arrière et mesurer les conséquences de cet acte. On dirait presque qu’ils n’ont pas fait exprès, en tout cas, ça ne devait pas se passer comme ça (c’est souvent le cas dans ce genre de film, où une vie s’envole aussi facilement qu’un coup de feu). En plus de cette violence brutale et « involontaire », la violence dans les rapports humains est déjà présente dans leur condition d’immigrés, et dans les quelques échanges avec les américains qui leur donnent du boulot (les exploitent surtout). Amat Escalante nous montre deux héros perdus, qui n’ont pas leur place là où ils sont, et cela dès le début (le long plan séquence d’ouverture l’illustre parfaitement), et qui se trompent en croyant qu’ils l’obtiendront avec une arme, même si on les a payé pour ça. Los Bastardos est un film très pessimiste et sans issue (le plus jeune des 2 héros finira seul, errant comme au départ), qui dresse un portrait noir du phénomène de l’émigration mexicaine et sud-américaine aux Etats-Unis, sans pour autant tomber dans la complaisance et la victimisation de ces personnages, mais plutôt avec un regard quasi-documentaire qui nous empêche de prendre parti pour ces deux héros tragiques.
La bande sonore vient rajouter au malaise latent, il n’y a pas vraiment de musique, juste des notes brutales de gros riff et de larsens de guitare électrique, qui viennent nous arracher les oreilles et nous sortir de notre torpeur, rythmant la lenteur des images et la gêne qu’elles occasionnent.
Effectivement, Los Bastardos est un film violent et brut qui ne laisse pas à l’aise, mais fait vraiment l’effet d’un parpaing.
Choix pertinent de la part de BAC Films et Le Pacte, qui distribuent le film en France, le cinéma mexicain étant peu représenté et méconnu (ce film a cependant reçu 6 Prix et une nomination: http://www.imdb.com/title/tt0841922/awards).
Un film à découvrir si on a les tripes bien accrochées.



http://www.losbastardos-lefilm.com/
http://www.imdb.com/title/tt0841922/
http://www.dvdrama.com/film-28489-los-bastardos.php
http://www.le-pacte.com/index.php/distribution/detail/32
http://www.toujoursraison.com/2009/01/los-bastardos.html
http://critico-blog.viabloga.com/news/los-bastardos-amat-escalante
http://borokoff.blog.lemonde.fr/2009/02/03/la-misere-ne-sarretera-jamais/
http://laternamagika.wordpress.com/2009/01/13/los-bastardos-damat-escalante/
http://www.lecourant.info/spip.php?article1255
http://mapierrealedifice.blogspot.com/2008/05/jai-honte-dtre-franais.html
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/01/27/los-bastardos-sur-un-air-de-deja-vu-une-fable-sanglante-a-los-angeles_1147121_3476.html

Eddie, le 6 sept. 2009.