lundi 21 septembre 2009

La Nuit des Morts Vivants (Night of the Living Dead ) de Georges Andrew Romero (USA/1968/90’’/35mm*/N&B/VOstFr).




Lundi soir, pour commencer ma semaine cinéphilique, je vais voir le premier film de Romero, œuvre fondatrice du film de zombies et classique ultime du cinéma de genre, à l’Accatone, petit cinéma de quartier et sa salle unique. Hélas, si peu de monde sont présents à cette séance (5 spectateurs en tout), dans cette salle tout en longueur (près de 100 places).
J’ai pu voir récemment Land of the Dead (Le Territoire des Morts) 2005 et The Crazies (La Nuit des Fous Vivants)
1973, deux films que j’ai adoré et qui m’ont mis des grosses baffes (surtout The Crazies ). Ce réalisateur, spécialisé dans un genre bien spécifique, souvent relégué à du cinéma-bis/d’exploitation, est cependant
nécessaire, d’abord par une dimension critique exacerbée et virulente de la société et de la politique de son pays,
mais aussi et surtout pour son intérêt certain d’un point de vue cinématographique.
Il était donc indispensable de voir le premier volet de cette longue aventure au-delà de la mort, et le pilier, la
genèse d’un genre très précis et concentré. Le genre film de zombie n’est bien sûr pas une nouveauté crée par Romero, il existe quelques films avant, comme L'Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel (1956) ou Vaudou de Jacques Tourneur (1943). Historiquement, le premier film du genre est White Zombie de Victor Halperin (1932) avec Bela Lugosi.
Mais le film marquant véritablement un renouveau du genre est sans aucun doute La Nuit des morts-vivants (Night of the Living Dead, George A. Romero, 1968); pourtant très mal accueilli par la critique à sa sortie : en effet, le film est violent, et très pessimiste, il comporte même des scènes de cannibalisme (la scène du barbecue des zombies avec la voiture en feu, et celle de la petite fille qui mange son papa mort). Il choque une Amérique puritaine qui sort à peine de trente ans de censure cinématographique imposée par le code Hays, et pose les bases narratives et esthétiques du film de zombies contemporain.
Et j’avoue moi-même avoir reçu ce choc aussi (interdit au moins de 16 ans nous annoncent les 1es images, ouhlala). Déjà, je ne m’attendais pas à du Noir et Blanc, je pensais qu’il était en couleur. Donc je suis surpris dès les premières images, on a l’impression d’être dans une vieille série télé cheap des 50ies en N&B, et cette esthétique lui confère une dimension plus impressionnante, plus réaliste. Caméra à l’épaule et mouvements bruts, son direct et angoissant (appuyée par des effets sonores grinçants et une tonitruante partition musicale signée Scott Vladimir Licina), le film (après un plan fixe sur lequel défile un générique en français. J’y reviendrais plus tard*) commence de manière très abrupte. On se retrouve direct dans un cimetière (scène mythique et cultissime qui pose véritablement les bases stylistiques et narratives du genre) avec ce couple de frère et sœur, qui d’ailleurs commentent la nuit qui tombe, et surtout les peurs de leur enfance (le fameux « They’re Coming to Get you Barbara »), pendant qu’un homme bizarre apparait et les attaque soudain, alors qu’ils en riaient.
Petit résumé (ahah) avant d’aller plus loin:
Venus se recueillir sur la tombe d’un proche, Johnny et Barbara sont attaqués par un personnage inquiétant. Horrifiée, Barbara voit Johnny se faire tuer. Elle s’enfuit et trouve refuge dans une petite maison perdue au milieu de la campagne. Elle y trouve Ben, ainsi que d’autres fugitifs. La radio leur apprend alors la terrible nouvelle : des morts s’attaquent aux vivants. Barricadés dans cette maison, qui devient peu à peu le théâtre de leurs conflits, ils devront tenir toute la nuit les assauts des morts-vivants en attendant les secours.
Et on suit ensuite la pauvre Barbara qui ne va plus servir à grand-chose dans le film (c’est le perso-type qui pète un câble au début, générateur potentiel de problèmes plus tard), elle s’enferme dans une maison abandonnée dans laquelle elle trouve un cadavre (horrible et crado, en précurseur du genre gore), que les personnages laissent d’ailleurs à l’écart, alors que la télé leur annonce qu’il est important de bruler les morts pour ne pas qu’ils revivent, malaise latent qu’on oublie au final avec toute cette pression dramatique (le nombre de zombies qui augmente, les différentes annonces radio et télévisuelles en crescendo, les conflits d’intérêt et d’ego entre des personnages opposés, contradictoires, ambigus, le vain espoir de s’en aller en remplissant le camion d’essence et l’urgence de Tom qui provoque l’incendie puis le barbecue cannibale, l’illusion de la barricade et de la sécurité de la cave, et enfin l’arrivée des secours, des flics rednecks qui cartonnent tout ce qui bouge…). Les séquences en intérieur sont magnifiques, dans un style très expressionniste servi par le N&B, par une lumière contrastée et blafarde et des cadres dynamiques et bruts. On est enfermé, coincé avec eux et leurs embrouilles, alors que dehors il y a juste la mort. Romero met vraiment tout en place dans ce film, structure narrative, esthétique gore, personnages types et récurrents, morts vivants patauds mais tellement nombreux que c’en est horrible, et surtout conflits humains et sociaux qui passent au premier plan, et qui génèrent ce qu’il y a de pire en l’homme. Les rapports tendus entre eux sont particulièrement bien décrits, ponctués d’intrusions de l’extérieur (annonces du gouvernement et attaques de zombies), ils soulignent l’engagement critique de son auteur, qui parle d’ailleurs de l’Amérique et ses problèmes, à travers sa vision apocalyptique et catastrophée. L’utilisation et le traitement du héros de ce film sont particulièrement intéressants. Romero propose ainsi aux spectateurs de 1968 un héros noir (excellent Duane Jones), Ben, référence la plus censée, humaine et positive, personnage à qui l’on s’identifie dans ce huis-clos chaotique et oppressant. C’est lui le chef des survivants, celui qui prend les choses en main, et surtout prend en charge la survie du groupe. Seul survivant, on est enfin heureux et soulagé à l’idée de son sauvetage proche. On n’attend qu’une chose, c’est qu’il soit sauvé pour raconter, pour continuer à vivre. Mais la fin arrive comme un coup de massue, ahurissante et trop choquante, et relègue simplement tout ce qu’on a vu et vécut pendant ce film à une simple anecdote. Le héros se fait salement tuer par méprise, comme un pauvre zombie, sans que rien ne soit réglé. Toute cette histoire qu’on a vécu avec lui devient juste un fait-divers, synthétisé en quelques photos brutes dont on sent le grain sur ces horribles « sauveteurs » qui ramassent les cadavres de zombies (dont celui de Ben) à l’aide de crochets de boucher, lors d’un générique de fin angoissante et sans aucune issue. Le film finit donc sur cette impasse, et ne présage rien de bon dans la vision de l’avenir de Romero. Mais selon lui, c’est l’homme lui-même la propre cause de ses malheurs. Il impose avec cette vision apocalyptique un film capital (et vital) dans l’histoire du cinéma, miroir de l’être humain et du monde. A travers un film de genre devenu un classique mythique, Georges Romero propose une étude sociologique de la société (en particulier américaine) et de la place et du rôle des humains dedans (étude qu’il prolongera tout au long de son œuvre, souvent avec des zombies comme matière première).
Pour une première vision, La Nuit des Morts Vivants est une grosse claque cinématographique, sans non plus être un gros fan de ce genre en particulier. C’est tellement une histoire simple et universelle, qu’elle pourrait être adaptée au théâtre, et qu’elle en fait un film important, au-delà des genres. Décidément, j’aime de plus en plus les films de Romero.

**la copie présentée (distribuée par FSF/Films Sans Frontières/ un peu crade d’ailleurs, rien de grave mais on sent le vécu) était en 35mm, mais le tournage en 16mm. D’autre part, je suis étonné de voir le générique en français, pour un film ricain, mais j’ai cru comprendre que Romero avait fait n’importe quoi à l’époque avec les droits d’auteur et de distribution. Il existe donc d’autres génériques différents. D’ailleurs la version DVD éditée par Bach Films (zone 2), présente dans la VO un générique en anglais avec plus d’images du trajet en voiture pour aller au cimetière, au lieu du plan fixe sur la voiture. Ce film, tourné en noir et blanc du côté de Pittsburgh, a été réalisé avec un pauvre budget de 114000$US et en a rapporté 20 millions. Le chef-op, c’est Georges Romero lui-même qui signe un cadre et des lumières magnifiques.


http://www.imdb.com/title/tt0063350/
http://cinemafantastique.net/film1496,Nuit-des-Morts-Vivants-La.html
http://www.dvdclassik.com/Critiques/la-nuit-des-morts-vivants-dvd.htm
http://www.filmsfantastiques.com/article-19433857.html
http://www.horreur-web.com/nightofthelivingdead.html
http://archive.filmdeculte.com/culte/culte.php?id=42
http://www.cafardcosmique.com/La-nuit-des-morts-vivants-de
http://www.geocities.com/Athens/Parthenon/8458/dead.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Night_of_the_Living_Dead
http://www.films-sans-frontieres.fr/lanuitdesmortsvivants/
http://www.films-sans-frontieres.fr/lanuitdesmortsvivants/presse/DP_LaNuitdesMortsVivants.pdf
http://films.psychovision.net/themes/zombies.php
http://films.psychovision.net/critique/nuit-des-morts-vivants-144.php
http://fr.wikipedia.org/wiki/Film_de_zombies
http://fr.wikipedia.org/wiki/George_Andrew_Romero

Eddie, le 8 juin 2009.

Who’s That Knocking at my Door? de Martin Scorsese (USA/1967/90’’/35mm/N&B/VostFr).



Depuis sa ressortie en salle en juin 2009, j’avais très envie d’aller voir le premier film de Martin Scorsese avec Harvey Keitel, une œuvre qui me semblait indispensable de voir pour mieux connaitre l’univers dualiste et torturé du célèbre réalisateur américain. Je vais donc au MK2 Parnasse à 13h50 (plusieurs semaines qu’ils le jouent et plus que quelques salles le programment), dans la salle 1 remplie d’une dizaine de spectateurs seulement.
Résumé :
Petite frappe du quartier italien de New York, entre bagarres et beuveries avec ses amis, JR (Harvey Keitel) rencontre une fille (Zina Bethune) dont il tombe amoureux. Lorsqu’il décide de se poser pour l’épouser, il apprend que celle-ci a été violée quelque temps plus tôt et il ne peut en supporter l'idée ...

Cette première œuvre, film d’étudiant avorté dont le tournage débuta en 1965, avec une histoire plus centralisée sur le personnage de JR et ses errances avec ses potes dans les rues de New York (avant ce titre qu’on connait aujourd’hui, il a porté les noms de Bring on the Dancing Girls, puis de I Call First). On lui conseilla d’ajouter et de développer les scènes qui s’attachent à sa relation amoureuse avec une jeune fille (simplement mentionnée comme « The Girl »), qui permet au film de partir dans des élans oniriques et formellement inventifs. Mais c’est grâce à un producteur de films d'exploitation, Joseph Brenner, qui lui suggéra de placer quelques scènes de sexe afin de le distribuer, que ce film maudit pu avoir une courte vie en salles à l’époque. Un début difficile pour ce cinéaste culte et talentueux, avec ce film à l’aspect un peu bancal et rafistolé du à la jeunesse du réalisateur, son manque de moyens et les modifications qu’il a du subir pour permettre sa distribution. J’ai lu quelques critiques, dont certaines qui dénigrent ce film « sans intérêt, chaotique, ennuyeux et non digne de l’engouement qu’il provoque ».
Mais cependant, il faut quand même admettre que cet essai cinématographique est véritablement le creuset du style Scorsese, et mérite qu’on s’y penche un peu. Il impose déjà un style et des cadres nerveux, bruts, réalistes, un montage éclaté mais riche narrativement, des dialogues percutants si typiques de ses films et des personnages torturés et ambivalents entourés de seconds rôles hauts en couleurs. On retrouve le fameux et charismatique Harvey Keitel, dans un de ses premiers rôles de jeune beau gosse rebelle, véritable révélation du film, alter ego du cinéaste (avant De Niro).

De plus, les thèmes chers au cinéaste, comme la famille ou la religion (tous ces crucifix et ces statues de vierges et de saints, la fin rédemptrice à l’église, les nombreuses citations) qui omniprésentes dans ce film. La scène d’ouverture du film, muette, où la mère prépare à manger à ses enfants sages et silencieux de façon respectueuse et presque sacrée, contraste immédiatement avec des plans caméra à l’épaule de bagarres de rue violentes, et nous entraine dans les moments de vie d’un jeune qui galère avec son groupe, alternés avec ses rencontres et sa relation avec The Girl, qui est « une fille et pas une poule. Une poule c’est… » (et pour illustrer son propos, une soudaine séquence hallucinante et totalement libérée de toutes formes de contraintes, à la manière d’un clip illustrant ses ébats plus sexuels qu’amoureux avec différentes filles-en fait la même-dans une chambre vide avec juste un lit et du parquet sur une musique des Doors). La distinction entre amour et sexe, femme et putain, vierge et tentatrice, est clairement marquée et cette problématique des rapports hommes/femmes est ainsi déjà posée dans cette œuvre, ainsi que les difficultés de leur relation.
Mais ici, la liberté créatrice est primordiale, et ce film nous emmène ainsi dans l’errance mentale de JR, à travers les quelques élans expérimentaux et mouvements de caméra à la fois très primaires et très sophistiqués, pour exprimer ses sentiments, ses pensées, ses troubles. Gros plans sur des dos, des bras, des nuques, surimpressions et fondus, images gelées ou remontées plusieurs fois, montage fluide et musical, beauté et simplicité des corps, les scènes d’amour (les ajouts donc) sont particulièrement esthétiques (surtout celle des « poules ») et montrent ainsi immédiatement le talent cinématographique du réalisateur, et sa grande maitrise technique.

Pour ajouter encore à l’intérêt du film, mentionnons ses nombreuses citations et références cinéphiliques (inserts de westerns classiques comme Rio Bravo, nombreux clins d’œil/hommages aux Nouvelles Vagues françaises et américaines et même énergie), et musicales (celles-ci viennent rythmer le métrage et l’élèvent dans des sphères mélodiques et mystiques, proches de l’hallucination à certains moments),. C’est par un magazine français qui parle entre autre de cinéma que JR rencontre cette fille, et en parlant de John Wayne et de westerns qu’il semble la charmer. Encore une fois (comme dans A Bout de Souffle), le héros se prend pour un héros de film, alors qu’il en est un lui-même, dans une mise en abyme vertigineuse et audacieuse.
Who’s That knocking… est le premier film d’un amoureux du cinéma, qui donne envie d’en faire du cinéma.

Le noir et blanc ajoute à l’esthétisme du film aux accents expressionnistes et expérimentaux, mais certains plans semblaient bien sous exposés (phénomène du au tournage, à la restauration ou à la projection?), ce qui provoquait des changements de luminosité assez brusques. La copie 35 projetée avait aussi beaucoup de grain, surtout dans les scènes retournées plus tard entre JR et the Girl, en 16mm gonflé en 35, qui donne à ces séquences l’allure de flash-backs (comme si leur relation était passée). Un très beau film étonnant et plein de créativité et de dynamisme qui
annonce la future renommée de Martin Scorsese. Une première œuvre riche et pleine de promesses, qui me redonne envie de replonger et de redécouvrir l’œuvre du cinéaste aux gros sourcils (j’ai racheté récemment le DVD de Mean Streets et j’aimerai bien voir New York, New York chez Jacki), et aussi de faire du cinéma, à notre manière.



http://www.toujoursraison.com/2009/06/whos-that-knocking-at-my-door-inedit.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Who's_That_Knocking_at_My_Door
http://culturofil.net/2009/06/17/whos-that-knocking-at-my-door-de-martin-scorsese/
http://tinalakiller.over-blog.com/article-32609420.html
http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/article/whos-that-knocking-at-my-door-1/
http://www.dvdrama.com/news-34232-harvey-keitel-jouer-comme-il-respire.php
http://www.lepoint.fr/actualites-cinema/2009-06-10/sortie-who-s-that-knocking-at-my-door-scorsese-au-seuil-du-succes/903/0/351233
http://laternamagika.wordpress.com/2009/06/30/whos-that-knocking-at-my-door-aka-i-call-first-bring-on-the-dancing-girls-de-martin-scorsese/
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/06/09/who-s-that-knocking-at-my-door-martin-scorsese-retour-a-la-source-d-une oeuvre_1204720_3476.html

Eddie, le 2 juillet 2009.

13e PCJ. Gloria et Memories of Murder (03/09/2009)

Petit effectif (5 personnes : Jacki, Lucie, Morgane, Manu, Eddie) ce jeudi soir chez Jacki, mais deux excellents films bien distincts (un chef d’œuvre du maître du cinéma indépendant américain des 70ies/80ies, et une perle de polar à l’humour noir et décalé à la sauce coréenne). Les PCJ se diversifient et tant mieux.



Gloria de John Cassavetes (USA/1980/123’’/Columbia-Tristar/35mm/1:85/Couleur/vostfr).

On commence donc par le magnifique Gloria de Cassavetes (1980), rugueux, brut, violent, mais tellement beau.
Ce film est présenté par Lucie (qui amène un peu de féminité avec son héroïne), et là, finie l’imagerie virile et balaise du gangster mâle, piétinée par une femme si forte, mais tellement aimante. Un film de gangsters donc, où les femmes ne sont (enfin) plus reléguées au dernier rang, sans avoir aucune incidence sur l’histoire. Ici, le film arbore un titre du nom de son héroïne, Gloria (très christique d’ailleurs ce nom, presque proche du divin. Son nom entier Gloria Swenson fait aussi référence à une actrice de cinéma muet, Gloria Swanson), incarnée par l’immense Gena Rowlands (femme et actrice fétiche de Cassavetes), excellente en ex cow-girl, blasée et fatiguée de la vie, qui s’engage auprès de ses voisins à protéger le fils d’un comptable de la mafia d’un massacre imminent, et qui traine derrière elle ce gamin auquel elle finit par s’attacher. D’ailleurs, en parlant du jeune garçon Phil (joué par John Adames), j’ai trouvé que cet acteur-enfant était bien photogénique et collait parfaitement au rôle de petit homme qui reste un gosse, mais j’ai été étonné de voir qu’il a remporté le Prix du pire second rôle masculin au Razzie Awards 1980 (cérémonie désignant le pire de ce que l’industrie cinématographique us produit chaque année, juste avant la cérémonie de remise des Oscars)…
Je ne comprends pas trop et mise sur le mauvais goût de l’époque (notons que The Shining de Kubrick est nominé en pire film la même année…), car en prenant en compte la difficulté de diriger un enfant à l’écran, ce petit gars assure bien dans son rôle de petit poussin qui joue le dur («You’re the man »), et a quand même une certaine classe (j’adore sa petit chemise funky rentrée dans le pantalon), même s’il ne fait que suivre Gloria sans trop comprendre au début, et devient ensuite son « petit ami ».
La relation entre eux fait tout l’intérêt du film, soulignée par la présence puissante de Gena Rowlands, dont le jeu direct et cynique fait de son personnage une femme forte au code de l’honneur maternel qui supplante ceux de toutes les mafias confondues. En passant par hasard chez ses voisins en pleine situation de crise (la mafia arrive pour tous les buter et récupérer le livre de compte tenu par le père), Gloria, en robe de chambre, la clope au bec et son éternel sac à main, prête en quelque sorte serment à la mère portoricaine (belle incarnation aussi de femme-mère puissante, qui connait parfaitement la situation, mais rentre quand même en galérant avec ses courses pour nourrir sa famille) qui lui demande de garder chez elle le petit Phil et de prendre soin de lui. Gloria comprend la gravité de la situation en quelques secondes et accepte aussi vite, sans penser aux conséquences (qui lui pèseront un moment, petit dilemme, elle est une ancienne maitresse d’un des mafieux), simplement par instinct maternel. Et une fois qu’elle a accepté, même si c’est la galère ou de la folie, Gloria va jusqu’au bout, de manière à la fois protectrice et nihiliste (comme une tigresse qui protège son petit), au mépris des dangers et des codes des gangsters. On est donc projeté avec eux dans une poursuite effrénée, ponctuée de scènes qui renforcent le lien entre ce couple atypique, et de moments d’action dignes d’un bon film de genre (la scène dans la cage d’escaliers au moment où les méchants arrivent dans son appart, celle dans le restaurant où elle explose tout à coup, ou encore la scène de négociation finale avec les gangsters, qu’on peut rapprocher des moments semblables du film de triades hongkongais : Gloria doit bien avoir le niveau de Chow Yun Fat, elle a vraiment trop la classe), soutenu par un style brut documentaire (la photo est signée Fred Schuler) et un jeu d’actrice bien mise en scène et poussée dans ses retranchements.
Le début est génial. Après un générique sur des peintures de Romare Bearden représentant des immeubles peints très simplement et naïvement, à la manière de dessins d’enfants qui se fondent à la fin avec des images de vrais immeubles new yorkais, et sur un fond musical jazzy flamenco bien sympa, on est direct avec cette femme portoricaine qui ramène ses gros sacs de courses et qui parait particulièrement stressée et speed. Quand elle rentre, on comprend en quelques phrases le problème, et c’est particulièrement ingénieux au niveau de la mise en scène de nous balancer direct dans une histoire où la mafia intervient et d’ailleurs ne va pas tarder à arriver, à travers une scène de jeu en huis-clos très réaliste et humaine. Et pendant que la pression monte, que le temps passe et rapproche inexorablement l’arrivée de la mafia, soudain la sonnette vient accentuer la pression dramatique, qui nous soulage quand apparait Gloria, la voisine étrange.
Et Gena Rowlands irradie l’écran, dans ce rôle brut de femme marquée par la vie, mais qui trouve toujours la force de se relever et de continuer, force qu’elle trouve décuplée dans son lien avec cet enfant un peu macho et relou au début, et qui forment tous deux un couple attachant et universellement fort. Ce n’est pas sa mère, mais lui n’est pas encore un homme malgré ce qu’on lui a dit. Elle est donc là pour lui (« You’ve got no home, you’ve got me »), contre vents et marées, et contre les tentatives vaines de gangsters sans honneur et sans scrupules.
Cette image de femme blonde qui court dans des couloirs étroits sur une musique jazz au saxo super entrainante me fait d’ailleurs penser, comme l’a justement remarqué quelqu’un pendant le film, à Brigitte Lin dans Chungking Express (au niveau du motif visuel).
Cassavetes livre aussi dans ce film une vision personnelle de la ville de New York, anonyme, dense et grouillante, et particulièrement bien filmée. Les plans dans le métro, la séquence du début, les plans où Gloria et Phil errent dans les rues animées sont magnifiques. Je pense en particulier à un plan assez long, en longue focale, en plongée de très haut et surtout en travelling latéral qui suit leurs mouvements, plan qui a retenu mon attention, vu son ambition et sa maitrise technique. Comment installer un travelling aussi long à cette hauteur, et surtout aussi propre avec la difficulté et la sensibilité que la longue focale implique? Ce plan prouve la grande maitrise cinématographique de Cassavetes, qui effectue avec ce film prenant son retour à Hollywood, après 6 films en indépendant et aux moyens techniques plus réduits.
Ce film est véritablement un chef d’œuvre, d’un point de vue technique, narratif, aussi bien au niveau du jeu des acteurs que du contenu thématique. Un portrait de femme forte qui nous emmène en balade dans les rues new yorkaises (j’ai préféré cette balade à celle de Downtown 81 ), et donne envie de découvrir l’œuvre de ce cinéaste essentiel.
Je vous invite, pour plus d’informations sur Gloria, à consulter les quelques liens internet ci-dessous, et surtout une fiche exhaustive du film faite par Lucie, qui pour sa première présentation, nous a montré un excellent film, important à voir.

http://www.critikat.com/Gloria.html
http://french.imdb.com/title/tt0080798/combined
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gloria_%28film,_1980%29
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/cassavetes/gloria.htm
http://www.rayonpolar.com/Films/cineaste_Cassavetes_affiche.php?num=6&numero=18
http://www.evene.fr/cinema/actualite/john-cassavetes-faces-shadows-gazzara-1836.php
http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9B06E7D61638F932A35753C1A966948260

Memories of Murder (살인의 추억, Salinui chueok) de Bong Joon Ho (Corée du Sud/2003/130’’/Dvd CTV-TF1 Video/1:85/Couleurs/Vostfr).


Après une première œuvre géniale, la suite du programme n’est pas en reste.
Le second film de la soirée est présenté par Manu, dans le cadre de son programme « Comédies policières » (des polars avec de la comédie et de l’humour). Ce film est bien différent de ceux qui constituent son programme, plus basé sur certaines œuvres d’Hitchcock et du cinéma classique américain. Ici, direction la Corée du Sud (pays où semble régner un certain malaise social), avec Memories of Murder (que l’on avait pu voir lors de la Nuit Polars Asiatiques au cinéma Le Champo. Voir compte rendu).
Second long métrage du réalisateur atypique et décalé Bong Joon Ho (qui signe 3 ans plus tard The Host, film de monstre très bizarre), Memories of Murder est donc un film policier, genre très précis qui sert de prétexte à une enquête absurde et non résolue, et surtout une critique acerbe des dysfonctionnements de la société sud-coréenne. Encore une fois, le cinéaste nous balade totalement, et désoriente autant le spectateur que le sont ces flics blasés et dépassés et aux méthodes bien différentes (alors que Park prétend reconnaitre un suspect en le regardant dans les yeux, Seo qui vient de Séoul se base sur des méthodes rationnelles et « américaines », et Cho obtient des aveux simplement à grands coups de lattes), et proches de l’absurde (chamanisme, chercher un homme sans poil aux bains parce qu’il n’y a pas de traces de poils pubiens sur les lieux du crime, obtention d’aveux par la force alors que le suspect ne concorde pas avec la description, fabrication de preuves, envoi de preuves à des labos américains et attente de la réponse, la confusion de Park « Enfoiré tu te crois au royaume des violeurs ?! »-énorme, et même le petit carnet de suspects obsolète nous font sourire).
On est entrainé dans cette enquête absurde et aux rebondissements improbables, comme le veulent les codes du genre, mais ce films parle finalement surtout de la société sud-coréenne des années 80 et de son malaise latent. L’impuissance de la police et la manière dont elle s’embourbe (littéralement) dans cette enquête est flagrant, et reflète un tiraillement entre la modernité et un capitalisme sauvage, et des structures archaïques et traditions et croyances populaires en marge de la réalité, mais cependant bien ancrée en elle (les épouvantails avec menaces envers le tueur illustrent parfaitement ce dédoublement presque schizophrénique). Les services de police coréens sont archaïques et impuissants dans ce film, mais il parait que la réalité est bien pire, et qu’il s’est passé à l’époque des choses bien plus folles (Memories of Murder n’en mentionne qu’une infime partie).
Les acteurs sont fabuleux, du personnage principal interprété par l’excellent Song Kang Ho (JSA, The Host, Sympathy for Mr Vengeance, The Good, The Bad and The Weird, et récemment dans Thirst) à celui du détective de la ville (Kim Sang Kyung), en passant par la constellation de seconds rôles atypiques et décalés (Kim Roe Ha en lieutenant brutal mais attachant, le suspect un peu attardé à la voix fluette qui s’endort n’importe où, le premier commissaire incompétent et son remplaçant plus raisonnable mais sanguin qui s’énerve et balance une chaise au moindre tracas), et les situations à la fois dramatiquement pressionnantes et à mourir de rire (les conflits entre les deux détectives, la scène où ils sont tous torchés, et qu’ils s’embrouillent encore alors que le commissaire se réveille pour vomir et les engueule après, les scènes de lieux du crime, d’investigation bordélique et de reconstitution truquée sont bien dignes des Experts made in Corée -l’empreinte dans la boue sur laquelle roule nonchalamment un tracteur-, et les interrogatoires musclés et expéditifs). Plus le film avance, et plus on s’enfonce dans la folie et l’absurde, perdant la raison comme ce flic terre à terre et pragmatique qui finit par douter et presser les évènements pour trouver à n’importe quel prix le coupable, oubliant ses moyens infaillibles. Car quand on croit enfin tenir un suspect qui nous semble plausible (un beau gosse propre sur lui et insoupçonnable, comme dans The Chaser), les échantillons ADN ne correspondent pas et ils sont obligés de le laisser partir malgré le fait qu’on est quasi sûr avec eux que c’est lui (la magnifique scène sous la pluie sur le bord des rails devant un tunnel).



On est donc un peu frustré par ce polar bizarre et décalé, film qui nous laisse sur notre faim, car il raconte l’histoire vraie d’un enquête non résolue (on comprend mieux la frustration et l’acharnement de ces flics eux-mêmes impuissants). Au final, on ne sait même pas qui est l’assassin, s’il a agit seul ou si c’est l’œuvre de différentes personnes, et le crime restera impuni. En cela, c’est un polar décalé, dont l’intérêt principal réside autre part que dans la résolution d’une enquête tordue et sinueuse.
Ce film a reçu de nombreux prix et nominations :
*San Sebastián International Film Festival 2003 (Espagne):
Prix du meilleur réalisateur, Silver Seashell et Prix FIPRESCI (« Pour donner un éclairage nouveau sur les racines de la répression politique dans une dictature sous le couvert de la poursuite d'un tueur en série ») pour Bong Joon Ho.
Nominé pour le Golden Seashell.
*Grand Bell Awards 2003 (Corée du Sud):
3 Prix (meilleurs film, réalisateur et acteur-Song Kang Ho).
*Festival du Film Policier de Cognac 2004 (France):
4 Prix (Grand Prix, Audience Award, Prix Médiathèques et Special Prize of the Police) pour Bong Joon Ho.
*Tokyo International Film Festival 2003 (Japon): Asian Film Award
*Chlotrudis Awards 2006 (USA): Nominé Meilleur Design Visuel.
Pour plus d’infos sur ce film, allez voir la fiche du film par Manu, ainsi que le compte rendu de la Nuit Polars Asiatiques au Champo (du 25 avril 2009) où Memories of Murder était programmé.
Voila un bon film de genre plaisant à regarder, j’espère qu’il a bien été reçu Chez Jacki, car le cinéma sud-coréen est à découvrir et j’aimerai bien vous montrer prochainement d’autres films du pays du matin calme (Public Enemy, A Bittersweet Life, Attack the Gas Station, etc).
Pour plus d'infos sur ce film: ici.
A la prochaine, amis cinéphiles.

Eddie, le 16 sept. 2009.