vendredi 18 septembre 2009

La Baie Sanglante (Reazione a Catena) de Mario Bava (Italie/1971/88’’/35mm/Couleur/Vostfr).



Ce vendredi soir, je vais au cinéma le Nouveau Latina (4e), pour découvrir l’œuvre de Mario Bava et par extension le giallo italien des années 60/70, un des grands genres du cinéma d’exploitation de cette époque ((le cinéma d’exploitation -de genre- italien de ces années là est un vaste domaine cinéphilique qui nous a livré de belles perles cinématographiques, du western spaghetti, au giallo, en passant par le cinéma d’horreur ou le poliziesco). De la violence et du gore à profusion et des jolies filles dénudées, voila ce que je venais voir ce soir là, dans la salle 1 du Nouveau Latina à 22h (environ 18 spectateurs). Et je ne vais visiblement pas être déçu, La Baie Sanglante semble être un grand classique du genre, et une référence en la matière.
Comme l’indique son nom original italien (Reazione a Catena : réaction en chaine), les meurtres et les tueries s’enchainent et se suivent à un rythme assez soutenu (13 meurtres je crois compter). Mario Bava est considéré comme le maître du cinéma fantastique italien et le créateur du giallo (avec La Fille qui en Savait Trop en 1962 et Six Femmes pour l’Assassin en 1964), genre dont il repousse les limites et les excès dans La Baie Sanglante. Ce film est un véritable sommet du genre, où les codes et les motifs sont exacerbés à l’extrême. Les victimes tombent comme des mouches (ou des dominos), les meurtres sont sans cesse inventifs et renouvelés à chaque fois différemment, et la cruauté et la violence vont crescendo tout au long du film. Les situations et les personnages invitent au crime (la fille qui va se baigner nue et seule dans une eau sombre, le groupe de jeunes insouciants, le couple à part qui fait l’amour, le couple véreux, et celui sans scrupule, la femme voyante un peu folle, le chasseur de papillons seul dans les bois, le fils caché bizarre, etc), et les cadrages, oppressants, serrés et sans issue, nous le suggèrent sans cesse, de façon à la fois subtile et grossière. Chaque cadre, mouvement lent de caméra, long zoom ou dézoom, flou ou reprise de point, gros plan extrêmement serré voire microscopique, plan large vide et fermé (les intérieurs baroques et même la baie entourée de forêt), l’utilisation du hors-champ, les décors, les couleurs (le rouge en particulier) et les accessoires kitchs, la musique, les clichés qu’incarnent les personnages, chaque détail, chargé de symboles, conduit au suspens et à la frayeur, et nous met la pression à chaque seconde du film, dès les premières images (très gros plans sur les mains de la vieille comtesse qui fait avancer les roues de son fauteuil, gros plans des yeux et du visage, plans plus larges très expressionnistes où elle s’éloigne seule dans son château désert, sombre et très rouge, puis soudain, à l’encadrement d’une porte, apparait un tueur dont on voit seulement les mains gantées et les chaussures propres, gros plan sur un nœud de corde qu’il lui passe autour de la gorge, hop petit coup de pied dans le fauteuil, et la comtesse se retrouve pendue comme un sac, accroupie et râlant d’agonie. Original. Et quand on voit enfin le visage du tueur, un second meurtrier inconnu (qu’on devinera plus tard) vient lui larder le dos et le visage à coups de couteaux et le massacre dans un montage nerveux et quasi-chirurgical. Les gros plans sur les visages et leur douleur pendant le meurtre sont assez gratinés aussi). Deux meurtres violents et expéditifs en quelques minutes de film nous annoncent la couleur, pour enchainer ensuite sur un festival (et accessoirement une encyclopédie détaillée) de massacres à chaque fois différents qui font preuve d’une ingéniosité inouïe. Après la présentation des personnages principaux qui lorgnent sur le domaine de la comtesse (raison de son assassinat) et des diverses victimes (la séquence du groupe de 4 jeunes niais, insouciants et bien sûr portés sur le sexe, est l’exemple type de l’influence de ce film sur le slasher-movie), la fille du premier meurtrier vient réclamer vengeance et dédommagements qu’elle obtiendra par elle-même, de la même manière que l’histoire a commencé : par le meurtre. On a donc droit en deux massacres par strangulation, à la machette ou autre, à des dialogues totalement surréalistes, censés légitimer les actions d’une femme ferme, raisonnable et terre à terre, avec son mari passif, suiveur, déresponsabilisé et un peu lâche qui exécute à contrecœur les ordres de sa femme en tentant d’argumenter un peu quand même (ça donne un truc du genre : Le Mari :« Oh quand même qu’est-ce qu’on est en train de faire ? » La femme « – Ohlala, mais t’es vraiment coincé toi ! « -Nan mais on était pas obligé de faire ça, ils avaient pas mérité ça tout de même « -Bah ils n’avaient qu’à pas être là, et auraient du se mêler de leurs affaires ». Waouh, un dialogue cinglant, hallucinant, complètement absurde et cynique, les spectateurs étaient morts de rire). La fin aussi est à mentionnée (désolé de spoiler hinhin), dans le registre de l’absurdité et du cynisme. Pendant une dernière argumentation entre le couple pour se convaincre du bien fondé de leur entreprise sanglante, et alors qu’on croyait que le film se terminerait sur ce cynisme cruel et horrible, c’est encore pire. Bam, l’homme et la femme se prennent des éclats de balles et meurent sur le coup. Le contrechamp nous montre leurs deux enfants qu’on avait oubliés. Le petit garçon tient un fusil et dit à sa sœur « T’as vu comme papa et maman font bien semblant de mourir ? », comme s’ils avaient été témoins de tout le film, et que tous ces meurtres horribles n’étaient qu’un jeu dont ils n’ont même pas conscience. Après avoir admiré leur petite pierre à cet édifice sanglant, ils s’en vont jouer et vaquer à d’autres occupations. Une fin monstrueuse et surprenante qui nous dépeint un monde dégénéré où la violence n’a plus de sens, et où les enfants tuent leurs parents comme on joue. De la violence et des meurtres pour des intérêts et pour obtenir ce que l’on ne veut pas que l’autre possède. En ressortant de la salle, je repense aux paroles d’Ali dans la chanson Groupe Sanguin (Lunatic. Mauvais Œil. 2000) « Tuer pour des intérêts, la mort n’est pas un mystère », et effectivement cela s’applique parfaitement à l’absurdité des crimes mis en scène dans ce film baroque et cru. Les gens meurent et en tuent d’autres par pur intérêt et souvent jusqu’à la folie. De quoi nous parle donc Mario Bava dans ce film d’exploitation ouvertement sanglant et violent, ce pur giallo lyrique et insensé ? La fin se pose violemment comme une pierre sur l’estomac et nous laisse surpris et dubitatif. Qu’est ce qu’il vient de se passer là ? Deux enfants viennent de tuer leurs parents aussi simplement et sans aucune autre raison, que l’absurdité assassine dont on a été témoin durant tout le film au travers des adultes. Ça semblait si facile de tuer, comme un jeu, que même les enfants s’y mettent, imitant leurs référents adultes. Le meurtre comme une banalité, et paradoxalement montrée et emphasée dans ce genre du giallo italien, qui se nourrit justement du meurtre et de l’assassinat oppressant et brutal comme matière première pour le sujet des films du genre. Rendre absurde le sujet premier et le thème du film. Un système qui se mord la queue et boucle la boucle. En cela le film est particulièrement intéressant et monte en crescendo de pression et violence sèche, dans une ambiance 70ies qui rend fluide le tout et nous fait bien sourire (les coupes de cheveux et les fringues sont bien sympas). Ça me donne envie de me lancer dans l’exploration de l’univers de ce sous-genre bien précis et typique et de découvrir d’autres films de Bava et d’autres grands maîtres de la série B et du cinéma de genre italien (du fantastique à l’horreur en passant par le western, le péplum, le polar, etc).
Quelques liens:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Giallo
http://french.imdb.com/title/tt0067656/combined
http://www.horreur.com/critique-619-baie-sanglante-la.html
http://www.avoir-alire.com/article.php3?id_article=8686
http://www.mad-movies.com/news.php?id=62
http://naindien.com/spip.php?article440
http://dvdtoile.com/Film.php?id=5683&page=2
http://wapedia.mobi/fr/La_Baie_sanglante
http://www.dvdcritiques.com/critiques/dvd_visu.aspx?dvd=4236
http://fr.movies.yahoo.com/l/la-baie-sanglante/fiche-du-film-7048527.html
http://www.dvdrama.com/news-34541-mario-bava-maitre-de-genres.php
http://www.notrecinema.com/communaute/v1_detail_film.php3?lefilm=7964
http://www.cinemaniac.fr/news/la-baie-sanglante-reazione-a-catena-le-giallo-de-reference
http://www.lesinrocks.com/cine/cinema-article/t/1246283040/article/les-vampires-la-baie-sanglante-duel-au-couteau/

Eddie, le 26 juin 2009.