Gloria de John Cassavetes (USA/1980/123’’/Columbia-Tristar/35mm/1:85/Couleur/vostfr).
On commence donc par le magnifique Gloria de Cassavetes (1980), rugueux, brut, violent, mais tellement beau.
Ce film est présenté par Lucie (qui amène un peu de féminité avec son héroïne), et là, finie l’imagerie virile et balaise du gangster mâle, piétinée par une femme si forte, mais tellement aimante. Un film de gangsters donc, où les femmes ne sont (enfin) plus reléguées au dernier rang, sans avoir aucune incidence sur l’histoire. Ici, le film arbore un titre du nom de son héroïne, Gloria (très christique d’ailleurs ce nom, presque proche du divin. Son nom entier Gloria Swenson fait aussi référence à une actrice de cinéma muet, Gloria Swanson), incarnée par l’immense Gena Rowlands (femme et actrice fétiche de Cassavetes), excellente en ex cow-girl, blasée et fatiguée de la vie, qui s’engage auprès de ses voisins à protéger le fils d’un comptable de la mafia d’un massacre imminent, et qui traine derrière elle ce gamin auquel elle finit par s’attacher. D’ailleurs, en parlant du jeune garçon Phil (joué par John Adames), j’ai trouvé que cet acteur-enfant était bien photogénique et collait parfaitement au rôle de petit homme qui reste un gosse, mais j’ai été étonné de voir qu’il a remporté le Prix du pire second rôle masculin au Razzie Awards 1980 (cérémonie désignant le pire de ce que l’industrie cinématographique us produit chaque année, juste avant la cérémonie de remise des Oscars)…
Je ne comprends pas trop et mise sur le mauvais goût de l’époque (notons que The Shining de Kubrick est nominé en pire film la même année…), car en prenant en compte la difficulté de diriger un enfant à l’écran, ce petit gars assure bien dans son rôle de petit poussin qui joue le dur («You’re the man »), et a quand même une certaine classe (j’adore sa petit chemise funky rentrée dans le pantalon), même s’il ne fait que suivre Gloria sans trop comprendre au début, et devient ensuite son « petit ami ».
La relation entre eux fait tout l’intérêt du film, soulignée par la présence puissante de Gena Rowlands, dont le jeu direct et cynique fait de son personnage une femme forte au code de l’honneur maternel qui supplante ceux de toutes les mafias confondues. En passant par hasard chez ses voisins en pleine situation de crise (la mafia arrive pour tous les buter et récupérer le livre de compte tenu par le père), Gloria, en robe de chambre, la clope au bec et son éternel sac à main, prête en quelque sorte serment à la mère portoricaine (belle incarnation aussi de femme-mère puissante, qui connait parfaitement la situation, mais rentre quand même en galérant avec ses courses pour nourrir sa famille) qui lui demande de garder chez elle le petit Phil et de prendre soin de lui. Gloria comprend la gravité de la situation en quelques secondes et accepte aussi vite, sans penser aux conséquences (qui lui pèseront un moment, petit dilemme, elle est une ancienne maitresse d’un des mafieux), simplement par instinct maternel. Et une fois qu’elle a accepté, même si c’est la galère ou de la folie, Gloria va jusqu’au bout, de manière à la fois protectrice et nihiliste (comme une tigresse qui protège son petit), au mépris des dangers et des codes des gangsters. On est donc projeté avec eux dans une poursuite effrénée, ponctuée de scènes qui renforcent le lien entre ce couple atypique, et de moments d’action dignes d’un bon film de genre (la scène dans la cage d’escaliers au moment où les méchants arrivent dans son appart, celle dans le restaurant où elle explose tout à coup, ou encore la scène de négociation finale avec les gangsters, qu’on peut rapprocher des moments semblables du film de triades hongkongais : Gloria doit bien avoir le niveau de Chow Yun Fat, elle a vraiment trop la classe), soutenu par un style brut documentaire (la photo est signée Fred Schuler) et un jeu d’actrice bien mise en scène et poussée dans ses retranchements.
Le début est génial. Après un générique sur des peintures de Romare Bearden représentant des immeubles peints très simplement et naïvement, à la manière de dessins d’enfants qui se fondent à la fin avec des images de vrais immeubles new yorkais, et sur un fond musical jazzy flamenco bien sympa, on est direct avec cette femme portoricaine qui ramène ses gros sacs de courses et qui parait particulièrement stressée et speed. Quand elle rentre, on comprend en quelques phrases le problème, et c’est particulièrement ingénieux au niveau de la mise en scène de nous balancer direct dans une histoire où la mafia intervient et d’ailleurs ne va pas tarder à arriver, à travers une scène de jeu en huis-clos très réaliste et humaine. Et pendant que la pression monte, que le temps passe et rapproche inexorablement l’arrivée de la mafia, soudain la sonnette vient accentuer la pression dramatique, qui nous soulage quand apparait Gloria, la voisine étrange.
Et Gena Rowlands irradie l’écran, dans ce rôle brut de femme marquée par la vie, mais qui trouve toujours la force de se relever et de continuer, force qu’elle trouve décuplée dans son lien avec cet enfant un peu macho et relou au début, et qui forment tous deux un couple attachant et universellement fort. Ce n’est pas sa mère, mais lui n’est pas encore un homme malgré ce qu’on lui a dit. Elle est donc là pour lui (« You’ve got no home, you’ve got me »), contre vents et marées, et contre les tentatives vaines de gangsters sans honneur et sans scrupules.
Cette image de femme blonde qui court dans des couloirs étroits sur une musique jazz au saxo super entrainante me fait d’ailleurs penser, comme l’a justement remarqué quelqu’un pendant le film, à Brigitte Lin dans Chungking Express (au niveau du motif visuel).
Cassavetes livre aussi dans ce film une vision personnelle de la ville de New York, anonyme, dense et grouillante, et particulièrement bien filmée. Les plans dans le métro, la séquence du début, les plans où Gloria et Phil errent dans les rues animées sont magnifiques. Je pense en particulier à un plan assez long, en longue focale, en plongée de très haut et surtout en travelling latéral qui suit leurs mouvements, plan qui a retenu mon attention, vu son ambition et sa maitrise technique. Comment installer un travelling aussi long à cette hauteur, et surtout aussi propre avec la difficulté et la sensibilité que la longue focale implique? Ce plan prouve la grande maitrise cinématographique de Cassavetes, qui effectue avec ce film prenant son retour à Hollywood, après 6 films en indépendant et aux moyens techniques plus réduits.
Ce film est véritablement un chef d’œuvre, d’un point de vue technique, narratif, aussi bien au niveau du jeu des acteurs que du contenu thématique. Un portrait de femme forte qui nous emmène en balade dans les rues new yorkaises (j’ai préféré cette balade à celle de Downtown 81 ), et donne envie de découvrir l’œuvre de ce cinéaste essentiel.
Je vous invite, pour plus d’informations sur Gloria, à consulter les quelques liens internet ci-dessous, et surtout une fiche exhaustive du film faite par Lucie, qui pour sa première présentation, nous a montré un excellent film, important à voir.
http://www.critikat.com/Gloria.html
http://french.imdb.com/title/tt0080798/combined
http://fr.wikipedia.org/wiki/Gloria_%28film,_1980%29
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/cassavetes/gloria.htm
http://www.rayonpolar.com/Films/cineaste_Cassavetes_affiche.php?num=6&numero=18
http://www.evene.fr/cinema/actualite/john-cassavetes-faces-shadows-gazzara-1836.php
http://movies.nytimes.com/movie/review?res=9B06E7D61638F932A35753C1A966948260
Memories of Murder (살인의 추억, Salinui chueok) de Bong Joon Ho (Corée du Sud/2003/130’’/Dvd CTV-TF1 Video/1:85/Couleurs/Vostfr).
Après une première œuvre géniale, la suite du programme n’est pas en reste.
Le second film de la soirée est présenté par Manu, dans le cadre de son programme « Comédies policières » (des polars avec de la comédie et de l’humour). Ce film est bien différent de ceux qui constituent son programme, plus basé sur certaines œuvres d’Hitchcock et du cinéma classique américain. Ici, direction la Corée du Sud (pays où semble régner un certain malaise social), avec Memories of Murder (que l’on avait pu voir lors de la Nuit Polars Asiatiques au cinéma Le Champo. Voir compte rendu).
Second long métrage du réalisateur atypique et décalé Bong Joon Ho (qui signe 3 ans plus tard The Host, film de monstre très bizarre), Memories of Murder est donc un film policier, genre très précis qui sert de prétexte à une enquête absurde et non résolue, et surtout une critique acerbe des dysfonctionnements de la société sud-coréenne. Encore une fois, le cinéaste nous balade totalement, et désoriente autant le spectateur que le sont ces flics blasés et dépassés et aux méthodes bien différentes (alors que Park prétend reconnaitre un suspect en le regardant dans les yeux, Seo qui vient de Séoul se base sur des méthodes rationnelles et « américaines », et Cho obtient des aveux simplement à grands coups de lattes), et proches de l’absurde (chamanisme, chercher un homme sans poil aux bains parce qu’il n’y a pas de traces de poils pubiens sur les lieux du crime, obtention d’aveux par la force alors que le suspect ne concorde pas avec la description, fabrication de preuves, envoi de preuves à des labos américains et attente de la réponse, la confusion de Park « Enfoiré tu te crois au royaume des violeurs ?! »-énorme, et même le petit carnet de suspects obsolète nous font sourire).
On est entrainé dans cette enquête absurde et aux rebondissements improbables, comme le veulent les codes du genre, mais ce films parle finalement surtout de la société sud-coréenne des années 80 et de son malaise latent. L’impuissance de la police et la manière dont elle s’embourbe (littéralement) dans cette enquête est flagrant, et reflète un tiraillement entre la modernité et un capitalisme sauvage, et des structures archaïques et traditions et croyances populaires en marge de la réalité, mais cependant bien ancrée en elle (les épouvantails avec menaces envers le tueur illustrent parfaitement ce dédoublement presque schizophrénique). Les services de police coréens sont archaïques et impuissants dans ce film, mais il parait que la réalité est bien pire, et qu’il s’est passé à l’époque des choses bien plus folles (Memories of Murder n’en mentionne qu’une infime partie).
Les acteurs sont fabuleux, du personnage principal interprété par l’excellent Song Kang Ho (JSA, The Host, Sympathy for Mr Vengeance, The Good, The Bad and The Weird, et récemment dans Thirst) à celui du détective de la ville (Kim Sang Kyung), en passant par la constellation de seconds rôles atypiques et décalés (Kim Roe Ha en lieutenant brutal mais attachant, le suspect un peu attardé à la voix fluette qui s’endort n’importe où, le premier commissaire incompétent et son remplaçant plus raisonnable mais sanguin qui s’énerve et balance une chaise au moindre tracas), et les situations à la fois dramatiquement pressionnantes et à mourir de rire (les conflits entre les deux détectives, la scène où ils sont tous torchés, et qu’ils s’embrouillent encore alors que le commissaire se réveille pour vomir et les engueule après, les scènes de lieux du crime, d’investigation bordélique et de reconstitution truquée sont bien dignes des Experts made in Corée -l’empreinte dans la boue sur laquelle roule nonchalamment un tracteur-, et les interrogatoires musclés et expéditifs). Plus le film avance, et plus on s’enfonce dans la folie et l’absurde, perdant la raison comme ce flic terre à terre et pragmatique qui finit par douter et presser les évènements pour trouver à n’importe quel prix le coupable, oubliant ses moyens infaillibles. Car quand on croit enfin tenir un suspect qui nous semble plausible (un beau gosse propre sur lui et insoupçonnable, comme dans The Chaser), les échantillons ADN ne correspondent pas et ils sont obligés de le laisser partir malgré le fait qu’on est quasi sûr avec eux que c’est lui (la magnifique scène sous la pluie sur le bord des rails devant un tunnel).
On est donc un peu frustré par ce polar bizarre et décalé, film qui nous laisse sur notre faim, car il raconte l’histoire vraie d’un enquête non résolue (on comprend mieux la frustration et l’acharnement de ces flics eux-mêmes impuissants). Au final, on ne sait même pas qui est l’assassin, s’il a agit seul ou si c’est l’œuvre de différentes personnes, et le crime restera impuni. En cela, c’est un polar décalé, dont l’intérêt principal réside autre part que dans la résolution d’une enquête tordue et sinueuse.
Ce film a reçu de nombreux prix et nominations :
*San Sebastián International Film Festival 2003 (Espagne):
Prix du meilleur réalisateur, Silver Seashell et Prix FIPRESCI (« Pour donner un éclairage nouveau sur les racines de la répression politique dans une dictature sous le couvert de la poursuite d'un tueur en série ») pour Bong Joon Ho.
Nominé pour le Golden Seashell.
*Grand Bell Awards 2003 (Corée du Sud):
3 Prix (meilleurs film, réalisateur et acteur-Song Kang Ho).
*Festival du Film Policier de Cognac 2004 (France):
4 Prix (Grand Prix, Audience Award, Prix Médiathèques et Special Prize of the Police) pour Bong Joon Ho.
*Tokyo International Film Festival 2003 (Japon): Asian Film Award
*Chlotrudis Awards 2006 (USA): Nominé Meilleur Design Visuel.
Pour plus d’infos sur ce film, allez voir la fiche du film par Manu, ainsi que le compte rendu de la Nuit Polars Asiatiques au Champo (du 25 avril 2009) où Memories of Murder était programmé.
Voila un bon film de genre plaisant à regarder, j’espère qu’il a bien été reçu Chez Jacki, car le cinéma sud-coréen est à découvrir et j’aimerai bien vous montrer prochainement d’autres films du pays du matin calme (Public Enemy, A Bittersweet Life, Attack the Gas Station, etc).
Pour plus d'infos sur ce film: ici.
A la prochaine, amis cinéphiles.
Eddie, le 16 sept. 2009.
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