jeudi 24 septembre 2009

24 City (Er shi si cheng ji) de Jia Zhang Ke (Chine/2008/107’’/HD Cam SR/Couleur/Vostfr).



Résumé:
Chengdu, aujourd’hui. L’usine 420 et sa cité ouvrière modèle disparaissent pour laisser place à un complexe d’appartements de luxe : “24 City”. Trois générations, huit personnages : anciens ouvriers, nouveaux riches chinois, entre nostalgie du socialisme passé pour les anciens et désir de réussite pour les jeunes, leur histoire est l’Histoire de la Chine.
Ce matin, j’avais décidé d’aller voir 24 City, le dernier film de Jia Zhang Ke, dont j’avais beaucoup entendu parler en bien depuis quelques temps. Direction MK2 Beaubourg où on le jouait encore, pour une séance du matin (11h20), dans la minuscule salle 6 (42 places je crois).
Une vingtaine de spectateurs, dont un vieux con qui arrive en retard, marche sur mon sac dans le noir en râlant « Qu’est-ce que c’est qu’ce bordel », évite surtout de me remercier quand je le laisse passer, pour s’endormir ensuite en ronflant et se barrer à la moitié du film (fallait que j’en parle, il m’a trop énervé…), étaient venus regarder ce film magnifique, à la frontière entre documentaire et fiction. Premier film de Jia Zhang Ke que je vois (et je ne suis pas déçu). D’ailleurs l’aspect documentaire m’a surpris (je ne m’y attendais pas et croyait voir une pure fiction), dès la première interview de cet ancien ouvrier qui parle de son maître et de ce qu’il lui a appris. On le revoit ensuite en compagnie de celui-ci, un très vieux monsieur qui n’a plus toute sa tête, dans une séquence extrêmement touchante de retrouvailles toute en retenue et en mélancolie (l’ouvrier prend la main de son maitre pendant toute la scène durant laquelle ils se parlent peu et échangent quelques souvenirs, puis lui caresse les cheveux et la joue).
Et tout au long du film, le cinéaste nous présente 8 personnages aux destins étroitement liés à l’usine 420, qui fabriquait de l’armement militaire pour le gouvernement chinois, et qui prenait totalement en charge la vie de ses ouvriers. J’apprends plus tard, en lisant quelques critiques, que les 4 personnages féminins sont des actrices, dont Joan Chen (actrice très connue dans le pays) qui incarne une ancienne ouvrière, « Petite Fleur » qui « ressemblait beaucoup à Joan Chen », ainsi que Zhao Tao, qui joue souvent dans les films de Jia Zhang Ke (c’est le 6e ensemble). Les histoires des femmes sont scénarisées et répondent à l’Histoire, plus terre à terre (autour de l’usine, des évènements historiques, du travail), par des mots de mères, d’épouses, emplis d’émotion, de force et de tristesse (la scène de la femme dans le bus qui parle des retrouvailles avec ses grands-parents, ou celle qui tient sa perfusion le bras levé et qui parle de son enfant perdu pendant son « transfert » sont magnifiques).
Ce mélange subtil entre matière réelle et procédés sophistiqués de mise en scène (voire mise en abyme, pour le cas de l’actrice Joan Chen), nous donne une vision globale de l’évolution et de la mutation de la Chine, par une technique narrative à la fois intime et universelle, comme ces superbes plans fixes sur des gens dont on tente d’imaginer la vie.
Alternant avec ces témoignages réels et fictifs, et ces plans fixes « photos-souvenir », des plans silencieux de bâtiments d’usine, de machines, des derniers moments de travail et de la vie dans le complexe, et cette image de la façade de l’entrée principale, dont l’enseigne est progressivement enlevée, viennent ponctuer ce document cinématographique de mémoire, entrecoupé de citations des ouvriers, du poète irlandais W.B. Yeats, et du classique Rêve du Pavillon Rouge.
Véritable archéologue du présent, Jia Zhang Ke effectue un important travail de mémoire, sur le passé et le présent de la Chine, qui se transforme à une vitesse monstrueuse (on pense à L’Orphelin d’Anyang de Wang Chao), en laissant dans l’oubli le peuple chinois qui se renouvelle et se succède anonymement. Cette usine d’état est le symbole d’une Chine austère et contrôlée qui laisse place une modernité aseptisée qui garde cependant les marques de ses prédécesseurs (le dernier « témoignage » de cette jeune fille dont le désir est de gagner un maximum d’argent pour payer un appartement dans 24 City, à ses parents, anciens ouvriers de l’usine 420, ou celui du jeune journaliste qui est parti ne supportant plus le travail à la chaine avilissant). Devenue obsolète et archaïque, cette usine doit disparaitre au profit des jeunes générations et de changements politiques, car symbole d’un autre temps qu’on préfère occulter.
Mais la Chine ne doit pas oublier son histoire et Jia Zhang Ke est là pour nous le rappeler.
“Ce film est composé de récits de fiction autour de 3 femmes et de témoignages de 5 ouvriers qui font part de leurs souvenirs. Mettre en parallèle le documentaire et la fiction était pour moi la meilleure façon d’affronter l’Histoire de la Chine entre 1958 et 2008. Cette histoire est simultanément construite par les faits et par l’imagination.
L’histoire se déroule dans une usine militaire d’Etat qui existe depuis 60 ans. Ce lieu a connu tous les mouvements politiques de la Chine communiste. Je ne cherche pas à rapporter des faits l’histoire mais à comprendre cette expérience socialiste, qui dure depuis près de 100 ans et qui a affecté le destin du peuple chinois. Afin de comprendre ces changements sociaux complexes, il faut écouter avec attention les témoignages des protagonistes.
Les films contemporains s’appuient de plus en plus sur l’action. J’aimerais que ce film retourne au langage. Pour certains, la “narration” doit se traduire en mouvements capturés par la caméra. J’aimerais que les sentiments les plus profonds et les expériences les plus complexes soient exprimés par la narration.
Quelle que soit l’époque, tous les individus et leurs expériences doivent être pris en compte. Il y a 8 ouvriers chinois dans “24 City”, je pense que chacun y trouvera une part de soi-même... “

Jia Zhangke

Le film est tellement délicat et subtil, que, n’ayant pu décrire tous ses aspects et dégager toute sa richesse, je vous conseille vivement d’aller lire les critiques qui suivent, afin d’élargir votre point de vue sur ce film magnifique qui remplit le cœur. Ah et une mention spéciale pour la chanson de Sally Yeh de l’intro de The Killer de John Woo (une des grosses influences du cinéaste dès son 1er film Xiao Wu, artisan pickpocket), reprise dans 24 City, emblématique du glamour mélancolique à la chinoise. Génial de réentendre cette musique ici.
24 City est donc un film intéressant par son approche docu-fiction (une photographie signée par deux chefs-op Yu Likwai et Wang Yu), et me donne envie de découvrir d’autres films du réalisateur Jia Zhang Ke (Xiao Wu, artisan pickpocket/1997, Platform/2000, Still Life/2006), ainsi que plus de films chinois du continent.

http://www.imdb.com/title/tt1103963/
http://www.culturopoing.com/Cinema/Jia+Zhang+Ke+24+City+-1811
http://www.lemonde.fr/cinema/article/2009/03/17/24-city-au-coeur-de-la-mutation-d-une-cite%20industrielle_1169146_3476.html
http://enformedepoire.blogspot.com/2009/04/24-city-jia-zhang-ke-la-fin-du-monde-3.html
http://www.lesoir.be/channels/cinema/la-chine-reelle-de-jia-zhang-2009-03-25-697656.shtml
http://www.critikat.com/24-City,2965.html
http://www.telerama.fr/cinema/films/24-city,360542,critique.php
http://cinechanges.blogspot.com/2007/09/de-john-woo-jia-zhang-ke-jia-zhang-ke.html (liens entre John Woo et le cinéaste, voir aussi article dans Positif N°567 de mai 2008, véritable hommage à Chow Yun Fat).

Eddie, le 9 juin 2009.

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