dimanche 27 décembre 2009

Klute d’Alan J. Pakula (USA/1971/114’’/35mm/Couleur/Scope/vostfr).



Un petit classique de temps en temps, ça peut pas faire de mal, surtout à la culture générale. Ce thriller américain de la contre-culture des 70ies, paranoïaque et psychédélique (si si un peu quand même) est véritablement intéressant et mérite d’être (re)découvert. Ressorti en copie neuve depuis le 25 novembre, le cinéma Grand Action le jouait en salle 1 (une belle et grande salle à l’écran légèrement concave, quel plaisir de voir des films là), devant environ 17 personnes (bon notons quand même quelques pubs avant le film, normal c’est la salle principale, et puis faut bien que quelqu’un injecte des sous dans le 7e Art…). Film politique qui détourne les codes du polar pour devenir un portrait intimiste et oppressant d’une femme libre et indépendante en pleine révolution sexuelle et psychanalytique, Klute avec ses écoutes téléphoniques, sa surveillance voyeuriste, son ambiance cloisonnée et parano, annonce deux grands films du cinéaste, The Parallax View (A cause d’un assassinat 1974) et All the President's Men (Les Hommes du Président 1976), histoires de journalistes en plein scandale politique.
Pakula nous livre ici un film atypique, intrigant, un curieux objet de cinéma, emblématique de ces années là et de la révolution sexuelle et sociale de la femme, et symptomatique de la paranoïa de cette époque.

Résumé :
Tom Gruneman a disparu depuis six mois. Le détective privée John Klute (Donald Sutherland), mandaté par l’épouse de Tom et son associé (Charles Cioffi), se rend à New York pour mener l’enquête. Seule piste fournie par la police : une call-girl, Bree Daniels (excellente Jane Fonda pour un de ses grands rôles), à qui Tom aurait adressé des lettres obscènes. Klute s’installe dans le même immeuble qu’elle, et à l’aide d’une table d’écoute, enregistre ses conversations téléphoniques (omniprésentes durant tout le film).
Peu après, Klute entre en contact avec elle pour l’interroger : une relation d’attirance et de répulsion s’installe entre eux…




Le film s’ouvre direct sur un repas de famille légèrement bruyant (les dialogues ne sont pas sous-titrés à ce moment là), déjà lourde de pression et de malaise. L’homme qui préside à table (Robert Milli/Tom Gruneman), on le retrouve immédiatement en photo après, et on apprend qu’il a disparu. Klute est lancé à sa recherche et sa seule piste, c’est le nom d’une call-girl et les lettres obscènes que lui envoyait Tom. Ça commence bien, et d’ailleurs cette histoire d’enquête va vite dévier sur la relation du détective et de la call-girl, et particulièrement sur l’angoisse de cette dernière (angoisse existentielle, mais surtout angoisse imposée par le tueur invisible et mystérieux. On le découvre d’ailleurs qu’à la fin, même si des pistes nous mettent la puce à l’oreille), sur sa vie entre casting ratés et prostitution, sa mentalité de femme libre et livrée à elle-même dans la ville grouillante qu’est New York, ses paroles aussi, largement enregistrée et entendue, et ce, dès le générique (un générique bien 70ies avec écritures rouges et gros plan d’un enregistreur à bande magnétique sur fond sonore de cette voix prenante de femme). Des paroles crues et sans concession, totalement choquantes pour l’Amérique puritaine de l’époque. Bree parle (et pratique) librement du sexe, du fait de jouer un rôle, de ce qu’elle veut, mais aussi de ses angoisses de ses peurs, de manière moins explicite. Des séances de psychanalyse filmées viennent entrecouper le métrage, nous en apprenant plus sur une femme moderne qui peine à se dévoiler, à se montrer entière. Jane Fonda (qui a d’ailleurs obtenu l’Oscar de la Meilleure Actrice en 1971 pour ce rôle) est absolument magnifique dans la peau de Bree Daniels, pleine de sensualité assumée, de provocation, de franc parler. Elle ne semble pas avoir besoin des hommes, et symbolise cette révolution sociale en faveur des femmes et de leur rôle à jouer dans cette Amérique en pleine mutation.
En face, on a Donald Sutherland impassible, mutique, dénué d’émotions, excellent dans ce rôle de détective désabusé et nonchalant. Même dans son penchant voyeuriste (ses écoutes téléphoniques, seul dans sa petite chambre miteuse, la magnifique scène du striptease de Bree devant un homme plus âgé qu’elle pendant qu’elle lui raconte un énorme mensonge qui semble la faire rêver aussi), il ne semble rien ressentir, et on finit par se demander ce qui le pousse à continuer cette enquête vraiment bizarre. C’est Bree Daniels bien sûr (il a soi-disant besoin d’elle pour avancer dans ses pistes), sans qu’il n’ose se l’avouer. Une relation étrange (appuyée par cette dimension de surveillance et de voyeurisme) nait progressivement entre eux, d’abord un gros vent que se prend Klute devant la porte de l’appartement de Bree, qu’elle lui claque au nez, puis petit à petit, Klute devient protecteur, mais à sa manière (toujours mutique et impassible devant son « rival », l’ancien proxénète de Bree, immense Roy Scheider, petites chemises ouvertes funky et balafre à l’œil, trop classe dans ce rôle de maquereau imbu de sa personne, « C’est elles qui demandent et qui en veulent » dit-il plus ou moins en parlant des femmes. La scène d’ailleurs où Bree est totalement défoncée, est vraiment géniale : on la suit dans la foule de la discothèque, errante et titubante, elle s’arrête à une table, s’assied sur les genoux d’un type, l’embrasse fougueusement, se lève soudain pour aller danser suivie du type, qui reste planté sur la piste de danse quand elle reconnait une amie qui lui montre quelqu’un. Contrechamp sur Franck Ligourin/Roy Scheider assis comme un prince sur un fauteuil classe avec une fille à son bras, Bree entre dans le champ et vient se mettre de l’autre côté, il lui tire les cheveux quand elle s’approche, puis la prend doucement dans ses bras. Elle semble totalement subjuguée par ce pimp arrogant et macho, malgré sa force de caractère de femme indépendante. Cette scène est vraiment envoutante et pleine de malaise et de sensualité). Une scène d’amour entre eux m’a frappé : après un léger moment de ce qui ressemble à de la tendresse, elle se remet à le considérer comme un client et le rejette violemment (elle semble plus apprécier son ex mac que Klute qui la respecte beaucoup. D’ailleurs elle parle de cette relation et de la peur qu’elle en a lors des séances psychanalytiques. Le fait que Klute l’aime pour ce qu’elle est et non plus ce qu’elle montrait parait la troubler et lui faire peur). La scène du marché cependant est belle grâce à ce couple qui semble enfin unit et heureux, malgré l’opposition de leur caractère (cette séquence est d’ailleurs magnifique avec son fort aspect documentaire et pris sur le vif, dans la réalité).


Mais le polar (car c’en est un tout de même) revient vite au galop, quelques moments forts viennent nous rappeler que Pakula s’il se joue des codes du genre, les maitrise parfaitement (poursuites, surveillances). On pense notamment à ce long travelling arrière lent et angoissant sur Bree pendant un coup de fil anonyme et nocturne qu’elle ne décroche pas. Le téléphone sonne et l’angoisse monte crescendo et sourde, pour finir sur cette femme seule dans son appartement claustrophobique. Effet dramatique garanti. Plus tard, lors d’une scène d’amour manquée, alors que Klute a entendu un bruit suspect au dessus de la verrière, la mise en scène nous emmène violemment dans une poursuite contre un ennemi invisible. Klute court, traverse des endroits sombres et inaccessibles (couloirs de maintenance, échelle, toit, cage d’escaliers crade), pour finir dans un squat de jeunes qui se défoncent. Fausse piste. Mais tout ce moment de pression est accentué par une musique totalement psychédélique de Michael Small (gros travail sur la bande son et la musique de ce film), qui nous transporte entièrement. La recherche d’une prostituée les emmènent ensuite dans des endroits de plus en plus glauques, dans une visite guidée d’une New York pas très reluisante (notons un pur plan en hélico).
Et au final, des recherches graphologiques (les « the » transformés en « hte ») nous apprendront que le méchant n’est autre que le riche et honorable Peter Cable, qui ne veut pas se compromettre avec une pute. La scène finale de confrontation est excellente, d’une violence sèche, brutale au montage très cut, en contre-jour d’où on ne voit que des silhouettes. La photographie de Gordon Willis est d’ailleurs magnifique et rend particulièrement bien cette ambiance de mystère et d’oppression (sentiment d'enfermement et de cloisonnement rendu aussi par les décors: l'appartement de Bree et sa lucarne, celui de John Klute, le bureau du méchant avec sa grande baie vitrée et son mur mobile, etc.).
Toute l’explication de cette histoire de complot et de faux-semblants claustrophobiques sera éludée sur la bande magnétique avec la voix de Peter Cable, bande-son omniprésente durant tout le métrage.
Un film bien ficelé et plaisant à regarder pour sa densité et son témoignage d’une époque en pleine mutation incarnée par une femme qui s’affranchit. Une mention spéciale pour la scène de casting qui introduit Jane Fonda, séquence bizarre et désagréable (la manière dont sont traités les mannequins), sur un fond psychédélique (ces photos géantes d’un visage de femme, reprographié en négatif sur le mur).



http://www.imdb.com/title/tt0067309/
http://en.wikipedia.org/wiki/Klute
http://www.solaris-distribution.com/Klute/klute.htm
http://versusmag.wordpress.com/2009/11/23/klute-de-alan-j-pakula/
http://thewasteland.over-blog.com/article-35306622.html
http://www.citizenpoulpe.com/klute-alan-j-pakula/
http://www.yozone.fr/spip.php?article8736
http://www.cinemaniac.fr/news/klute-reprise-d-un-thriller-noir-culte-seventies
http://archive.sensesofcinema.com/contents/cteq/01/13/klute.html
http://www.notrecinema.com/communaute/v1_detail_film.php3?lefilm=9762
http://www.menstyle.fr/culture/cinemas_tv/articles/091120-klute-revient-.aspx
http://www.legrandaction.com/index.php?option=com_content&view=article&id=165
http://www.excessif.com/dvd/actu-dvd/dossiers/klute-au-coeur-des-seventies-4980245-760.html

Eddie, le 4 décembre 2009.

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